Biographies des insurgés
Stanisław, Jerzy et Wanda Thun
Au cours des siècles, les femmes et les hommes de la lignée von Tun, originaires de la noblesse poméranienne firent preuve, à maintes reprises, de leur polonité et de leur patriotisme.
L’après grand-père Julian combattit pendant l’Insurrection de 1863 et le grand-père Stanisław lutta pour l’indépendance de la Pologne au cours de la première guerre mondiale et de la guerre polono-soviétique. Il prit part à la défense de Varsovie en 1939, fut membre de Kedyw de l’AK (diversion) et périt pendant l’Insurrection de Varsovie.
Son fils Jerzy, alors adolescent, intégra aussi les rangs de l’Armée de l’Intérieur et participa à l’Insurrection de Varsovie.
Sa future femme – Wanda Pieńkowska- participa également à l’Insurrection en qualité de soldat de l’AK et infirmière. Ils combattaient ensemble sans le savoir dans le quartier Mokotów, séparés par quelques rues à peine. Le sort a voulu qu’ils se sont rencontrés à Gdańsk après la guerre.
Stanisław Marian Thun, |
MON GRAND PÈRE - STANISŁAW
Stanisław Marian Thun naquit le 19 novembre 1894 à Dzierżno Dworskie dans la paroisse Świedziebnia près de Rypin.
Mon Grand-père Stanisław fut probablement l’exemple de toutes les vertus. Son dynamisme, la diversité de ses passions et ses succès auraient suffi comme matière à plusieurs existences. Il fut un patriote dévoué, d’une intégrité sans reproche et exceptionnellement laborieux, ce qui est confirmé par les opinions formulées à son égard par ses supérieurs dans l’armée. Il maîtrisait trois langues étrangères: allemand, russe et français. Il séjournait à Vienne, connaissait bien la Russie, mais aussi la Hongrie et voyageait en Roumanie. Mon Père hérita de lui de nombreux traits de caractère et dons tels que les talents linguistiques, mais aussi une intégrité hors de commun.
En juin 1913, mon Grand-père passa son exament de baccalauréat au Troisième Gymnase de Cracovie et commenca, en automne 1913, ses études de médecine à l’Université Jagellonne. Il ne put pas étudier plus longtemps – il passa seulement deux semestres (Nº de livret d’étudiant 13041).
Dès le commencement de la première guerre mondiale, le 16 août 1914, Stanisław intégra les rangs des Légionnaires Polonais (assermenté le 4.09.1914) et fut envoyé sur la ligne du front pour participer à la campagne des Carpates. Déjà le 29 septembre 1914, "en service de guerre", sur recommandation du brigadier Zygmunta Zieliński, il fut promu porte-drapeau (brevet du porte-drapeau délivré le 19 janvier 1916). Au sein du 2e régiment d’infanterie des Légions, il était de service en tant que chef de peloton pour devenir ensuite adjudant du 2e Bataillon du 2e régiment d’infanterie des Légions. Le 29 octobre 1914, son détachement, placé sous le commandement du général Zieliński, prit part à la bataille de Nadworna dans les alentours de Mołodkowo et Harcza où 700 soldats périrent. Mon Grand-père, blessé alors à la jambe droite (à partir de ce moment, il boitillait), fut hospitalisé dans un hôpital russe de Ploskirov (avec le capitaine Tadeusz Teslar) après quoi il fut pris comme prisonnier par les Russes.
Entre-temps, le commandement délivra le Diplôme nº 1270, rédigé sur un petit morceau de parchemin coloré:
"À notre Camarade d’Armes, porte-drapeau Stanisław Thun, en reconnaissance de sa vaillance et en souvenir des batailles encourues
au sein du 4e régiment d’infanterie L.P.r 1915-1916, le présent signe de svastika de 2e classe est octroyé.
Position près de Rudka Sitowicka Commandement du 4e régiment d’infanterie.
Troisième année de la Guerre Mondiale signé ROJA
le 16.09.1916"
Je suppose que ce modeste diplôme fût adressé à mon arrière grand-mère, puisque son fils était à cette époque en captivité.
En juin 1917, il réussit une évasion, en se servant des faux papiers établis au nom de Malczewski. Selon un document russe, ce camp de travail forcé aurait été localisé à Irkoutsk. Ensuite, il erra dans toute la Russie jusqu’à l’approche du front, ce qui se produisit le 2 février 1918, après quoi il fut interné à Vienne.
Dès son retour à Cracovie, il fut engagé comme fonctionnaire dans l’Inspectorat d’indemnisation C.K. de la Régence C.O.G (Conseil Central pour la reconstruction économique de la Galicie), ce qui figure sur un certificat délivré le 18 avril 1918, constatant la nécessité de sa présence dans le bureau "en dehors des heures d’ouverture". Cette année là, le 1 novembre, il intégra les rangs de l’armée polonaise.
Pendant le premier mois de son service, il fut officier d’ordonnance sous-lieutenant pour être nommé lieutenant le 12 novembre en vertu de l’ordre Nº 8 donné par le général de la brigade Roja dont nous avons déjà pris connaissance plus haut. Ensuite, il fut de service en tant que commandant d’un détachement des estafettes au sein du 4e régiment d’infanterie des Légionnaires. En janvier 1919, il prit fonction d’adjudant du Commandant de la Circonscription de Varsovie, ensuite, pendant 5 mois, il commanda l’une des compagnies de la 2e Division des Légions basée à Jabłonna. Il passa les quatre mois suivants en tant que commandant de la compagnie et ensuite du bataillon détaché de la 2e division d’infanterie sur la ligne du front. Une pièce d’identité en date du 21 mai 1919, établie par le Commandement de la 2e Division des Légions au nom du lieutenant Stanisław Thun s’est conservée, dans laquelle figure son affectation tactique : Commandant du Groupe des Scouts, signature du général Roja. Peu de temps après, la 1ère compagnie des scouts commandée par mon Grand-père se distingua par sa vaillance, ce qui fut mentionné dans l’ordre Nº du général Roja en date du 27 juillet 1919, décernant des médailles à une dizaine de ses soldats:
"La très vaillante 1ère compagnie des scouts, commandée par son exemplaire et courageux commandant, lieutenant Stanisław T h u n, s’est distinguée et s’est couverte de gloire au cours des combats dans les alentours de Radoszkowice, près de Rogowaja et Puchlaki, où, sous le feu violent de l’artillerie ennemie, elle repoussait victorieusement des attaques lancées par un ennemi qui la surpassait largement en nombre, en opposant une résistance acharnée sur les postes de défense qui lui étaient assignés.
Les mérites militaires de ces vaillants scouts aussi bien près de Radoszkowicze qu’à l’occasion de la résistance opposée à l’attaque de flanquement contre Radziwce sont d’autant plus précieux que ce détachement des scouts était composé de volontaires. En plus de son commandant exemplaire, les scouts-officiers et soldats légionnaires suivants ont mérité leurs médailles...."
Entre septembre 1919 et mars 1920, mon Grand-père fut adjudant à D.O.G. Kielce.
Ensuite, il fut nommé adjudant du Groupe de Poméranie, après quoi il devint adjudant du Commandant de la 2e Armée sur la ligne du front.
Ici, je me permets de citer le contenu de l’Ordre Nº 2 en date du 6 août 1920:
"Soldats!
Chacun de vous a une mère ou l’avait par le passé!...
- Naturellement – vous me direz –forcément, nous avions tous une mère.
Camarades d’armes! – il se trouve cependant que toutes les mères ne sont pas au même degré tendres à l’encontre de leurs enfants, il se peut aussi que certaines d’entre elles se préoccupent peu de leurs enfants!
- En effet, cela risque de se produire-vous allez me confirmer.
Camarades d’ armes – si votre mère devait être la pire de toutes – permettriez-vous qu’elle soit tyrannisée et battue sous vos yeux, notamment par un étranger?
Soldats! Comment les moscovites-soviétiques peuvent-ils prétendre que nous leur permettrions de battre notre Mère-Pologne, qui n’avait ni le temps ni la possibilité, sous le joug prussien et moscovite, de prendre soin et d’élever ses enfants.
Camarades d’armes! Le coeur et la raison nous enjoignent à opposer une résistance à l’invasion moscovite et aux méthodes tsaristes.
Je vous salue!
(-) ROJA, général
Le présent ordre doit être lu devant tous les détachements placés sous mon commandement.
Certifié conforme par:
(-) Rosiński, sous-lieutenant"
Une petite parenthèse : sur tous les ordres datant de cette époque, les signatures sont composées uniquement des noms des supérieurs, sans prénoms. Je ne sais pas s’il s’agissait là d’une façon d’écrire ou d’un système de sécurité.
En décembre 1920, sur sa requête du 23 octobre 1920, Stanisław fut délégué à Varsovie, afin d’y étudier à l’École Supérieure du Commerce. Promu capitaine, il exercait la fonction d’officier de liaison affecté au Commandement de la Ville de Varsovie.
C’est probablement pendant cette période là que mon Grand-père était actif au sein des services de renseignement de l’armée, ce que peut suggérer l’Ordre Personnel Nº 13 portant sa photo, établi à Grudziąc le 4.6.1920 au nom d’un certain Stefan Tiedemann, né le 20.5.1894, habitant de la ville de Grudziądz, 44, rue Lipowa, profession : "négociant".
Avant que mon Grand-père eut terminé ses études de commerce, finalisées par un examen et un diplôme en juin 1922 basé sur la thèse: "Colonie polonaise à Parana après la Guerre Mondiale ", il fut honoré, en reconnaissance de son courage pendant la guerre, de la haute distinction militaire Insigne de l’Ordre du Mérite Militaire de 5e classe, décernée par le Corps d’Adjudants du Chef suprême des armées le 17 mai 1922.
carte d’identité de la Croix du Mérite Militaire de 4e classe
A partir du 1 janvier 1923, il fut engagé à l’Institut des Éditions militaires et devint, le 15 février 1926, responsable de la section II.
Pendant la période du 1 septembre au 1 décembre 1924 à Rembertów, il passa avec succès "une formation de perfectionnement, d’unification et de préparation à une promotion ", dont atteste le général Prich (là encore, pas de prénom devant le nom du général). Peu de temps après, il fut promu major.
Le Chancellier de l’Ordre de la Pologne Restituée signa un décret du Président de la République de Pologne en date du 28 avril 1926 comptant Monsieur le major Stanisław Thun parmi les Chevaliers de l’Ordre de la Pologne Restituée, en lui octroyant les insignes de la Croix de Chevalier, en reconnaissance de ses mérites dans le domaine des sciences militaires et de la littérature militaire.
carte d’identité Polonia Restituta
Le jour de la fête nationale, le 11 novembre 1928, mon Grand-père reçut deux médailles: Médaille-souvenir de la guerre 1918-1921 et Médaille de Commémoration du Dixième Anniversaire de l’Indépendance Retrouvée.
Médaille de Commémoration du Dixième Anniversaire de l’Indépendance Retrouvée
Le 8 avril 1931, le ministre de l’intérieur, Sławoj Składkowski, octroya à mon Grand-père une Médaille en reconnaissance du secours porté aux Personnes en Détresse, pour avoir sauvé la vie d’une personne qui se noyait le 15 juin 1930.
Le réveillon du jour de l’an 1931, à l’occasion de la Première Rencontre des Anciens Prisonniers de Conscience, il fut décoré par l’Insigne-Souvenir des Prisonniers de Conscience des années 1914-1921, du fait de son emprisonnement par les Russes à cette époque.
Peu de temps après, le 15 janvier 1932, il reçut le droit de porter l’Insigne-Souvenir du 2e régiment d’infanterie des Légions, en vertu de l’ordre du commandant du régiment, colonel diplômé de Laveaux (de nouveau-sans prénom).
Photographie prise en uniforme
Vers la fin de son service actif- le 29.02.1932- il fut mis à la retraite, mais déjà le 1 avril 1932 fut nommé Directeur de la Librairie Centrale Militaire, fonction qu’il occupa jusqu’en 1939.
Carte d’identité datée de 1936
Le Chef de l’Institut Militaire Scientifique et Educatif, sous-colonel diplômé Ryziński, établissant en 1939 un certificat-évaluation consacré à son collaborateur constata, entre autres, ce qui suit "monsieur le major en retraite a été efficace dans l’exercice de ses fonctions. C’est un homme intelligent, laborieux, entrepreneur et plein d’initiative. Sa façon de penser est marquée par le goût de l’autonomie et de la flexibilité intellectuelle".
Les liens de Stanisław avec la littérature étaient étroites. Il dut certainement être utile à la littérature nationale pusique l’Académie de la Littérature Polonaise, en la personne de son secrétaire Juliusz Kaden-Bandrowski et de son président Wacław Sieroszewski, lui octroya, le 5 novembre 1935, un Laurier Littéraire argenté. A cette époque lointaine comme à présent, cette institution culturelle était démunie de fonds, aussi le Lauréat dut-il couvrir lui-même les frais de réalisation de la décoration et du diplôme, en présentant un coupon attestant du paiement d’une somme de 18 zlotys!
Dans les années 1924-1925 et 1930-1931, il fut membre, ensuite, entre 1935-1937, adjoint au Membre du Directoire de l’Association des Sciences Militaires. Rédacteur de la "Revue des Publications Militaires" (publiée depuis 1926 en tant que supplément à "Bellona"), il participa aux comités de rédaction de la "Revue de l’infanterie" et de la "Revue des arts Militaires » (entre 1929 et 1933).
En 1936, mon Grand-père fit probablement un voyage en Palestine, du moins c’est ce que l’on peut lire dans son passeport valide pour un départ ponctuel, établi en avril par les services du Staroste. Deux visas y figurent: celui qui est valide pour une exposition de Tel Aviv, délivré par l’Office Britannique de Contrôle des Passeports pour une durée d’un mois et celui qui constitue un droit de passage des frontières de la Roumanie. N’y figure cependant aucun cachet attestant de l’entrée ni de sortie de la Roumanie.
Par contre, en 1937/1938, mon Grand-père séjourna à Constanza. Aucun détail sur ce séjour n’est disponible, probablement – comme c’était le cas de son voyage en Palestine – c’était une mission de renseignement.
L’activisme social de Stanisław fut reconnu le 30 juillet 1938 par le premier ministre Sławoj Składkowski par l’octroi d’une Croix du Mérite en Or pour ses oeuvres dans le domaine social.
Carte d’identité de la Croix d’Or du Mérite
Le 17 janvier 1939, il reçut la Croix d’Honneur des Scoutes Luttant pour l’Indépendance, en reconnaissance de son travail de scout pendant la période 1909 -1921.
En tant que scout chevronné, Stanisław choisit un sport exigeant- la navigation. Il débuta déjà en 1919 sous les auspices du général Roja. En 1920, il fut nommé, à titre temporaire, mandataire de l’Association Polonaise de la Navigation Maritime et Fluviale S.A. "Baltique", avec l’autorité de signer les chèques et lettres de l’Association. Dans les années suivantes, il se rendait à Gdynia, afin de perfectionner ses qualités de navigateur sur la Baltique sous l’oeil de Mariusz Zaruski. Il y passa ses vacances à quelques reprises, en effectuant des croisières vers Bornholm et Visby dans les années 1931 et 1932 à bord des yachts "Junak" et "Temida I", afin d’atteindre le niveau de milles marins requis pour l’obtention du brevet de Capitaine de yacht de la Navigation Marine qu’il obtint en 1932. De temps en temps, il emmenait à Gdynia son fils.
Défense de Varsovie
Pendant la campagne de septembre 1939 – commandant du 2e bataillon bénévole du 2e régiment d’infanterie de défense de la Rive Droite (rebaptisé plus tard « 336 régiment d’infanterie »).
De cette époque de la bataille de Varsovie en septembre 1939, se sont conservés quelques objets de mon Grand-père comme cartes, journal intime, ordres et porte-cartes (avec une inscription en hongrois, il datait donc probablement de l’époque de la campagne des Carpates).
Une pièce d’identité établie par le Commandement de la Défense de Varsovie ne porte ni numéro ni date, elle est par contre munie d’un cachet et d’une signature apposée par le commandant du régiment, colonel Sosabowski, en définissant l’affectation de mon Grand-père au 2e bataillon du 2e régiment d’infanterie. Le 7 septembre 1939, le Commandant de la Ville, colonel Machowicz, affecta mon Grand-père à la disposition du commandant de la Citadelle.
Une carte schématique du quatrier Praga (sur la rive droite de Varsovie), représentant les différents tronçons des rues, détermine le secteur de la ville défendu par son régiment, puisque l’ordre du colonel Sosabowski du 15.09 précise que l’ennemi s’approche des confins est du quartier Grochów. Cet ordre contient des informations précises sur les armes à employer, quel moyent de transport utiliser pour acheminer les matériaux utiles pour la défense (p.ex. sacs remplis de sable), sans oublier les codes chiffrés pour chaque jour. Le 17 septembre, leur bataillon (Gustaw), effectua sa première attaque qui suscita un feu écrasant de l’ennemi. Les notes personnelles prises quotidiennement par mon Grand-père sont plus intéressantes à lire que le contenu des ordres puisqu’elles traduisent les sentiments qui habitaient mon Grand-père pendant ces premiers jours de la seconde guerre mondiale:
" le 1er septembre au matin rue Pierackiego, au moment de faire la queue pour acheter de la farine dans les locaux de la Ligue pour la Défense Aérienne, personne n’était encore au courant de la guerre. L’alerte aérienne déclenchée et les tirs d’artillerie réels ont été pris pour des exercices de la défense antiaérienne. C’était enfin un communiqué transmis par la radio qui a détrompé les gens. Je n’avais jamais soupçonné ni pressenti cette guerre. Quand j’attendais mon tour pour être convoqué à l’armée –la Commission des recrues ayant déclaré que les bénévoles ne seraient pas acceptés – j’ai remarqué avec regret que certains étaient déjà en uniformes, alors que moi-même j’étais obligé d’attendre. Je m’occupe de la gestion du secrétariat PTWK. Les premiers raids aériens. Le premier jour, des batailles aériennes courtes, comme par exemple au dessus de la Place Unii Lubelskiej. Les gens se comportent de façon très variée : certains sont terrifiés, d’autres encore sont nonchalants, recueillis ou étalent leur bravoure.
....... Soudainement, pendant la nuit du 5 au 6 septembre, les services d’astreinte de l’établissement pour les aveugles de Laski me réveillent en disant que les Allemands auraient percé le front dans les alentours de Płońsk et s’approchent de Varsovie. Dans la lueur de la lune, les soeurs de l’établissement portant sur leurs bras des pelles prennent la route de Wawrzyszew afin d’y creuser des fosses antichar, tout en récitant des prières à haute voix. Avec Jurek, nous enterrons les vivres, les armes et les uniformes. Départ en calèche avec le directeur de l’école, sous-lieutenant Sokołowski.
........... Il fait nuit, quand nous arrivons au Commandement de la ville qui nous affecte à la Citadelle. Arrivé à la Citadelle, je me présente et je reçois le commandement du bataillon du sous-colonel Sikorski (originaire de Poznań). Les effectifs du bataillon- 150 hommes. Je choisis mes officiers et sous-officers parmi ceux qui sont présents sur place. Il y a parmi eux quelques connaissances comme Janek Wilczyński. La Citadelle est extrêmement encombrée et sale.
........ Nous nous retrouvons tous ensemble- jeunes et vieux, ces derniers n’avaient pas supposé qu’il leur faudrait encore se battre. Toutes les couches sociales et toutes les professions sont animées par cette seule pensée- on veut se battre. Mon bataillon quitte enfin la Citadelle le 9 septembre et occupe le secteur délimité par le pont de chemin de fer du quartier Żolborz et la gare de chemin de fer « Gdański ». Cela ne constitue que la troisième ligne de la défense, mais il n’y a pas à renâcler. Nous sommes cantonnés dans une école en face du dalot de chemin de fer vers Zoliborz. Les rescapés de Łodz nous racontent leurs péripéties – raids aériens, tanks. Nos patrouilles interceptent des soldats en déroute et les incorporent dans notre bataillon. Malheureusement, la 2e compagnie et les sous-lieutenants Bielawski et Komar-Gacki nous quittent pour protéger les alentours de Palmiry. Il ne nous sera pas permis de les revoir, parce qu’ils sont incorporés au bataillon des gardes.
extraits du journal écrits en septembre 1939
Le 19 septembre, quartier Praga. Les animaux inspirent la pitié. Des chiens abandonnés flânent partout, affamés, blessés, courant aveuglement dans tous les sens. Les cadavres des chevaux jonchent abondamment les rues. Les chats qui vivaient naguère comme des coqs en pâte, se promenent dans les maisons desertées par leurs maîtres, abasourdis par la faim, lèchent les boîtes de conserves et acceptent volontiers les caresses des mains des inconnus. Le sous-lieutenant Czarnecki, pendant un feu d’artillerie puissant, s’est introduit sous le chassis d’une locomotive, entre deux rangées des roues. Il fut suivi d’un chien qui se couché sur son dos courbé, en frémissant. Un obus éclate à deux pas. Le chien est coupé en deux – sa tête et les pattes avant restent telles quelles, le reste du corps s’est transformé en un amas sanglant de viande hachée.
Le 24 septembre, les Allemands ne manifestent aucune initiative au-devant de leurs lignes : notre embuscade s’est soldée par un échec. Les bombardements de Varsovie continuent. Le Château royal brûlé, on dit que c’est le cas maintenant du Théâtre National. Le Centre Ville sombre aussi progressivement en ruines. A entendre de telles nouvelles, on ressent des pîqures au coeur. Notre Varsovie bien-aimée est en train de périr. Difficile de croire qu’elle puisse continuer à être notre capitale après la guerre. Sa reconstruction devra durer longtemps.
Le 25 septembre . Quant à la situation politique, les gens racontent un tas de potins divergents. Aujourd’hui, les journeaux ne sont pas sortis, ainsi les potins circulent-ils de plus belle. Ces derniers jours, j’ai entendu dire que le général Sosnkowski aurait commis un suicide, que l’aviation anglaise se bat au-dessus de Varsovie, que les Soviets venaient de déclarer la guerre aux Allemands. Quant à cette dernière nouvelle, j’aimerais bien qu’elle soit exacte. Il y a quelques jours, nous avons appris que les Soviets avaient pénetré en Pologne, en apparence pour des raisons pacifiques. On dit qu’ils ont atteint les villes de Lvov et de Brest Litovsk. L’ambassade soviétique est à Varsovie. Comment interpréter tout cela? Selon les racontars, nos divisions près de Lvov auraient été désarmées et internées alors qu’à Grodno des combats de rue acharnés auraient eu lieu. Notre situation semble être sans issue et pourtant, tant de fois déjà, nous avons vécu des moments difficiles suivis d’une victoire définitive.
Le 29 septembre 39. Nous distribuons la dernière solde parmi nos soldats. Les officiers ont également touché leurs appointements. Les armes que nous devons rendre à l’ennemi sont abîmées. Les soldats ont cassé les percuteurs et déformé les canons de leurs carabines. Les canons sont désassemblés, les culasses rejettées."
C’était la dernière phrase du journal de mon Grand-père rédigé pendant le siège de notre Capitale.
Face à la défaite imminente, le commandant du secteur "Grochów", colonel Sosabowski, donna son dernier ordre en date du 28 septembre 1939, en qualifiant ses soldats de "Défenseurs de Varsovie", en reconnaissance de leur "comportement, attitude, combativité aussi bien dans l’attaque que dans la défense ". A la fin, il donna la consigne suivante: "Confortez votre esprit, soyez à l’écoute des ordres".
Ce même jour, le commandant du groupement, colonel Żongołłowicz, dans un supplément à l’ordre du jour, proclama que le Commandant de l’Armée « Varsovie » décida de décerner une Croix de la Vaillance Militaire au major Stanisław Thun, au capitaine Antoni Chrapczyński, au sous-lieutenant Alfred Haak, au porte-étendard Stefan Szuba.
Conspiration
Après la capitulation, mon Grand-père fut obligé de se présenter au commandement allemand Warschau le 31 octobre 1939, ce qui est attesté par le Bescheinigung Nº 6658 délivré à cette occasion.
photographie prise vers la fin de 1939
Quelques temps auparavant, le 3 octobre 1939, il fut invité à une rencontre secrète qui s’est tenue dans les souterrains de l’immeuble PKO avec les fondateurs de l’organisation Service pour la Victoire de la Pologne (validée plus tard par Sikorski sous l’appellation de l’Union pour la Lutte armée-ZWZ): général Kazimierz Karasiewicz-Tokarzewski, colonel Rowecki (surnommé plus tard « Grot »), député Mieczysław Niedziałkowski, maréchal Maciej Rataj, professeur. Roman Rybarski et président Stefan Starzyński, dans le but de créer une nouvelle structure organisationnelle. A cette époque, on confia à mon Grand-père la mission d’organiser le Trésor de l’Organisation. C’est ainsi qu’il débuta ses activités sous le couvert du pseudonyme prinicipal "Leszcz", mais aussi sous d’autres pseudonymes comme "Malcz", "Janusz" "Nawrot" – ce dernier en qualité de chef des finances de l’Armée de l’intérieur (7e section du Commandement Suprême). C’était lui-même qui mit sur pied tout le réseau des locaux de contact dans la capitale et fut l’auteur du plan de l’action « Góral » en 1943, au cours de laquelle les troupes de la diversion AK s’emparèrent de l’argent provenant des transports allemands. Cet argent permit à « Leszcz » d’acheter des devises et l’or sur le territoire du Gouvernement Général et de mettre sur le marché ces centaines de milliers de dollars, en provoquant souvent à cette occasion des flottements du taux de change.
Pendant cette période, il habitait Kanonia sur la berge de la Vistule (Vieille Ville) qu’il appelait sa « Venise ».
Au moment de l’Insurrection de Varsovie, le Commandement Suprême de l’AK devait se tenir à l’écart des postes de combat et ne pas manifester sa présence. Pour un soldat actif qu’était mon Grand-père, c’était un vrai supplice. Cantonné dans la rue 24 Leszno, il attendait des ordres. Le 3 août, son collaborateur, soucieux de le soulager dans ses tourments intérieurs, proposa de sortir sur le toit de l’immeuble et d’ouvrir le feu sur la prison Pawiak se trouvant entre les mains des Allemands. Mon Grand-père fut tué par une balle tirée par un tireur embusqué au moment où il s’approchait de la petite fenêtre de la mansarde. Enveloppé dans une toile, il fut enterré dans la cour de l’immeuble par le colonel "Pirat" et le capitaine "Alan" (Antoni Baranowski). Le lendemain, il fut deterré et mis dans une caisse de fortune.
Après la guerre, il fut exhumé et enterré au cimetière militaire de Powązki.
photographie du tombeau au cimetière militaire de Powązki Wojskowe
En 1964, le cercle des anciens soldats de l’AK de Londres confirma l’octroi à mon Grand-père, à titre posthume, de l’Ordre de Guerre Virtuti Militari de 4e classe, en date du 2 octobre 1944, par le Commandant de l’Armée de l’intérieur.
certificat d’attribution de la Croix du Mérite Militaire de 4e classe (Virtuti Militari)
Jerzy Thun, |
Mon Père commença son activité clandestine à l’âge de 17 ans. Dans les rangs du bataillon d’élite AK "Baszta" , chargé de défendre l’État-major du Commandement Suprême, il participa à une série d’exercices de combat et de formations. Dans une école clandestine pour les aspirants, il reçoit le grade de caporal-aspirant.
En 1943, le bataillon "Baszta" fut transformé en régiment composé de 3 bataillons : "Bałtyk", "Olza" et "Karpaty". À l’origine, les troupes de "Baszta" et du Groupement "Radosław" devaient défendre le Commandement Suprême de l’AK qui, initialement, devait être situé dans le quartier Mokotow. Peu de temps avant l’Insurrection, le Commandement Suprême fut transferé vers le quartier Wola ce qui provoqua le transfert vers Wola du point de rassemblement du Groupement "Radosław". Par la décision du commandant de la Circonscription de Varsovie, colonel "Monter", "Baszta" resta dans le quartier Mokotów.
C’est seulement à partir de 1956 que mon Père put exercer sa profession et devint, plus tard, capitaine des Lignes Océaniques Polonaises.Grâce à son séjour en Hongrie, il conserva la connaissance de l’hongrois. En 1946 à Gdańsk, il fit connaissance de sa future femme- Wanda Pieńkowska –Thun- infirmière de Mokotow au temps de l’Insurrection.
Il décéda à bord de son navire en escale dans le port pakistanais Karachi, le 12 octobre 1982. Il est inhumé au cimetière Witomiński à Gdynia.
Wanda Thun née Pieńkowska
Wanda Thun née Pieńkowska, Copyright © 2006 Maciej Janaszek-Seydlitz. All rights reserved.
Au moment de l’Insurrection, les différents détachements du régiment "Baszta" avaient des missions responsables à accomplir : attaquer et conquérir toute une série d’immeubles et d’installations contrôlées par les forces allemandes. En plus de "Baszta", d’autres détachements clandestins étaient localisés à Mokotow.
Le 27 juillet 1944, le colonel "Monter" mit tous les détachements de Varsovie dans un état d’alerte. Les soldats des différentes troupes se présentèrent dans les points de rassemblement. Le 28 juillet, l’alerte dut annulée, ce qui provoqua des perturbations : certains soldats restèrent, d’autres retournèrent à la maison.
Le 1 août au matin, les détachements reçurent les ordres selon lesquels l’heure "W" (début de l’insurrection) était fixée pour le 1er août à 17h00. A cause des problèmes de liaison, au moment de l’Insurrection, les effectifs de certains détachements étaient incomplets. Toutes les réserves d’armes et de munitions, d’ailleurs très modestes, n’étaient pas non plus disponibles.
Les combats dans le quartier Mokotów commencèrent de façon assez chaotique. Les détachements insurgés, en général mal armés et dépareillés, n’étaient pas en mesure d’atteindre les objectifs qui leur étaient fixés, confrontés à une forte résistance de l’ennemi équipé en armes automatiques lourdes, en artillerie et en tanks. Les Insurgés subirent de lourdes pertes.
Les hitlériens, sur le territoire restant sous leur contrôle, commencèrent les exécutions sommaires des blessés et des insurgés pris prisonniers ainsi que de la population civile. L’une après l’autres, les maisons furent incendiées.
Le groupe de combat de Jerzy Thun "Kot" fut complètement écrasé dès le premier jour. Les survivants se dispersèrent. Mon Père atteignit une maison et fut accueilli par ses habitants. Le 5 août, les Allemands expulsèrent la population civile de cette région. Mon Papa, enveloppé dans un foulard à la manière d’une jeune fille, au visage enfantin, quitta la ville en tant que civil. Heureusement, le groupe d’expulsés évita d’être fusillé. Après la sortie de Varsovie, mon Père rencontra un détachement hongrois en route vers la Hongrie. Les Hongrois l’emmenèrent avec eux, ce qui lui permit d’éviter la mort ou le camp de concentration (pendant la période initiale de l’Insurrection, c’étaient là les seules voies possibles pour les Insurgés).
Le séjour de mon Père en Hongrie dura quelques mois. Il retourna à Cracovie au printemps 1945. C’était là qu’il apprit la mort de son Père par l’intermédiaire de ses connaissances. Il atteignit Varsovie déjà après son exhumation. La collaboratrice de son Père, Mme Sawicka, lui indiqua le lieu d’enterrement de Stanisław Thun au cimetière militaire de Powązki.
Comme il ne restait aucune trace de sa mère, il fut contraint à se débrouiller seul, avec une petite aide de la part de sa tante habitant en Silésie et du docteur Stobiecki, ami de mon Grand-père de Cracovie. Dans cette situation, il décida à chercher une école qui lui permettrait de s’habiller et se nourrir. Il trouva enfin l’Ecole Martime de Gdynia. Dans une certaine mesure, il continuait ainsi la passion pour la mer inculquée par son Père. Son livret de navigateur lui fut confisqué au moment où il termina ses études à cause de son appartenance à l’AK. Il essayait des emplois temporaires dans le port de Gdynia et à bord des remorqueurs.
Depuis novembre 1942 – au sein du Service Militaire des Femmes de l’AK ; a suivi avec succès une formation des premiers secours aux blessés et des armes de l’infanterrie. Stage pratique aux hôpitaux Dzieciątka Jezus et Ujazdowski. Chargée de la collecte des médicaments, des pansements et des instruments médicaux. Au cours de l’Insurrection, combattante du quartier Mokotów.
L’Insurrection vécue par moi personnellement
Mon Insurrection personnelle commença le 28 juillet 1944, au moment ou je fus mobilisée. Je fus affectée à la patrouille sanitaire basée dans la rue Chełmska. En compagnie de quelques collègues, nous passâmes toute la nuit dans un herbier situé près de la Vistule à observer des fusées éclairantes, lancées coup sur coup au-dessus de la surface de l’eau. Le 30 juillet, nous reçumes l’ordre de retourner chez nous. L’ordre suivant parvint, en nous enjoignant à être prêts pour le 1 août vers midi. Ma mère, soucieuse de rester avec moi autant de temps que possible, m’accompagna en fiacre jusqu’à la rue Chełmska
Deux heures avant l’heure prévue de l’Insurrection (« Heure W »), l’adresse de notre rassemblement fut modifiée ce qui nous contraignit à prendre tous nos biens et à nous installer dans la rue Stępińska. Nous ignorions qu’en face de nous, dans les alentours du Jardin des Bains Royaux, stationnaient les Allemands.
Vers 17 heures, un bruit de la mitraille parvint à nos oreilles. Nous vîmes un garçon qui s’affalait au milieu de la rue ce qui nous détermina à nous précipiter dans la rue en manifestant notre qualité d’infirmières : brassards enfilés et brancards, afin de chercher le blessé. C’était à ce moment qu’une pluie de balles déferla sur nous! Elles tombaient mélangées aux feuilles arrachées aux arbres. Le gars, étalé sur le brancard, fut tué alors que nous, quatre infirmières, nous trouvâmes un abri sous le petit toit à l’entrée d’un bunker. Les Allemands avaient construit un certain nombre de bunkers afin de contrôler quelques places plus importantes. S’étant aperçu de la situation dans laquelle nous nous trouvions, Wanda- la cinquième de notre équipe- accourut vers nous avec des pansements, mais elle reçut immédiatement des blessures à ses deux mains. Nous nous cachions dans cette petite cave en compagnie d’un adolescent inconnu. Tout à coup, nous entendîmes les Allemands s’approcher. Ils lancèrent une grenade qui tomba directement sur le ventre de ma collègue Stasia Stawska; l’adolescent rejette tout de suite cette grenade. Dans un instant, une deuxième grenade ovale tombe, l’adolescent l’attrappe et la rejette. Nous entendons déjà les paroles en allemand. En ce moment là, l’adolescent bondit à l’extérieur. J’ignore s’il a réussi à s’échapper. L’une de mes collègues, Tenia Zdziarska, sortit à l’extérieur avec une toile blanche en main. Malheureusement, une balle la blessa à la clavicule. Les Allemands s’approchèrent. Tenia ne pouvait plus bouger. Nous feignions d’être des civils (nos brassards furent noyés dans une grille d’égout se trouvant dans la cave). L’Allemand déclara qu’ils allaient transférer Tenia à l’hôpital, quant à nous, il nous ordonna d’aller en direction du Jardin des Bains Royaux. Arrivées sur place, nous étions contraintes à nous tourner face au mur, après quoi l’un des Allemands dirigea vers nous le canon de sa carabine. Nous étions terriffiées ! Ma vie défila à toute vitesse devant mes yeux, je savais que c’étaient les derniers moments de ma vie. A ce moment là, un autre Allemand accourut en criant "halt! halt!" – il réussit à stoper celui qui s’aprêtait à tirer. Par ce moyen, nous évitâmes d’être fusillées. On nous donna l’ordre de nous déplacer vers un autre immeuble, en face du Jardin. En compagnie de ses habitants, nous passâmes la nuit dans la cave. Nous demandions aux Allemands de transférer vers l’hôpital notre camarade, blessée à ses deux mains (c’était Wanda la « Sombre »- je ne me souviens pas de son nom). Tenia, blessée à la clavicule, devait être emmenée par les infirmières allemandes. En effet, le lendemain, une camionette allemande chargée d’un brancard, sur lequel nous vîmes Tenia, s’approcha. Notre Wanda fut aussi transférée à l’hôpital. Les deux jeunes filles survécurent à la guerre. Nous formions un petit groupe de trois personnes: Stasia Stawska, Wanda Choryd (Biała) et moi-même. (après la guerre, Wanda Choryd devint professeur de psychiatrie).
Nous étions trois à posséder le prénom de Wanda. Aussi, pour faciliter l’identification, nous prîmes les surnoms suivants : Biała – était une « blonde », Czarna – « brune » (Wanda Szeruda) et Wandzia – c’était moi-même (Wanda Pieńkowska). Wanda Biała entendit la conversation des Allemands qui venaient de la ligne du front et n’avaient aucune idée de la situation à Varsovie. Nous en profitâmes pour nous adresser à un officier, en lui disant que nous voulions rentrer chez nous, mais un soldat posté au toit tirait sur une petite place que nous devions traverser: "Dites-lui de ne pas tirer sur nous". L’officier ordonna au soldat de nous laisser passer. Je sortis en compagnie de Wanda, Stasia prit un autre chemin. Nous atteignîmes la rue Chełmska. Plus loin, il y a avait une berge en direction du quartier Mokotow, plantée de pommes de terre. Nous rampions à travers ces pommes de terre en remontant la pente sous la pluie des balles qui sifflaient au-dessus. Nous atteignîmes la rue Puławska dans les alentours du débouché de la rue Woronicza. Nous avançions, guidées par notre instinct parce que nous ignorions qui contrôlait cette partie de Mokotow. Avant de franchir la rue Puławska, il fallait attendre jusqu’au soir, le feu incessant des mitrailleuses empêchant toute progression. Nous fîmes escale dans un appartement et traversâmes la rue à la tombée de la nuit. Nous nous dirigeâmes vers le commandement de ce secteur cantonné dans la rue Szustra (à présent : Dąbrowskiego). C’était là notre baptême de feu à cause du bombardement qui se déchaîna juste après notre arrivée. La villa occupée par le commandement tremblait, les vitres se cassaient, l’enduit tombait en poussières, les trous dans les murs s’ouvraient subitement telles des fenêtres grand-ouvertes sous l’impact du vent. Rien qu’un bruit strident et des amas de gravats se formant sous nos yeux! Il était difficile de trouver une cachette quelconque parce que l’endroit où l’on se trouvait à un moment donné risquait de s’effondrer subitement. De là, on nous ordonna de faire route vers le Bataillon Baszta. Initialement, nous étions chargées d’éplucher les patates (c’était à l’école Woronicza, à l’angle de la rue Krasickiego). Comme le nombre de places à l’hôpital Elżbietanek diminuait à cause des bombardements systématiques, des filiales de cet hôpital étaient crées dans les villas avoisinantes. Nous n’étions pas les seuls rescapés, en fait, leur nombre augmentait constamment. Nous étions cantonnées 20, rue Krasickiego et affectées aux différents postes pour s’occuper des blessés. Je fus séparée de Wanda Biała : moi-même, je fus affectée au poste sanitaire 18, rue Lenartowicza. Les repas étaient acheminés depuis la cuisine dans la rue Woronicza par une certaine « Petite Maman » s’occupant de l’approvisionnement (je l’ai rencontrée après la guerre à Gdynia, mais il me semble qu’elle y était venue uniquement pour passer ses vacances).
Après un certain temps, nos gars s’emparèrent des entrepôts allemands contenant des vetêments. On nous attribua des blouses vertes, des jupes bronzes et des pardessus gris taillés dans des morceaux de plaids, terriblement lourds. C’était pour moi une acquisition très précieuse parce que j’étais sortie de chez moi vêtue seulement d’une jupe de toile grise et d’un modeste chandail. Ces nouveaux habits devaient me servir après pendant de longs mois, jour après jour.
J’étais de service avec Zosia qui s’appelait Zdziarska. C’était la soeur de Tenia, celle qui était blessée dès le premier jour. De jour, nous nous occupions de nos blessés, de nuit, nous nous aventurions dans l’Espace de Mokotow (Pola Mokotowskie) afin d’y chercher de l’eau du puits. Les Allemands lançaient des fusées éclairantes. Il fallait attendre pour les laisser passer et se précipiter à travers la rue Lenartowicza. Au-delà, le terrain était déjà couvert. Le chemin de retour était plus difficile puisqu’il fallait sautiller avec un seau rempli d’eau qui se vidait au fur et à mesure : parfois, on n’apportait que la moitié, mais on était tout de même content de disposer d’une quantité d’eau, fût-elle modeste. La vie que nous menions était relativement calme dans de pareilles circonstances jusqu’au moment où les « vaches » - obus incendiaires allemands- se mirent à hurler. Une fois, après le passage des 12 vaches, les arbres étaient sans feuilles, même les pavés brûlaient et les maisons chancelaient. En conséquence, nous transférâmes nos blessés dans l’immeuble 126 rue Puławska, et les cachâmes dans une chaufferie. Peu de temps après, les avions commencèrent à bombarder les immeubles plus importants. J’étais en train de panser la blessure de notre agente de liaison "Białyni", blessée dans les alentours de l’Hippodrome à la main et à l’abdomène quand j’entendis un bruit incroyable: tout s’effondrait en tombant en poussière. Je me précipitai sur l’escalier pour voir s’il y avait une sortie. L’escalier s’était effondré partiellement, mais une sortie était dégagée. En revanche, la maison voisine s’était transformée en un amas de décombres. Ayant calmé nos blessés, je courus chez mes cousins Grendyszyński habitant la rue Krasickiego pour ôter la poussière de mes habits parce que je ressemblais à un fantôme, toute recouverte d’une couche des poussières rouges des briques écrasées. Mon oncle Kazimierz, malgré l’opposition de sa femme, décida de me suivre jusqu’à Puławska, afin de déterrer les gens ensevelis sous les décombres de la cave. Je me souviens toujours d’elle criant après son mari : "Kazik, ne me laisse pas toute seule!" Nous courions le long des jardins familiaux, à l’arrière de la rue Puławska quand les avions me survolèrent à nouveau. L’oncle cria quelques mots inintelligibles en ma direction. Je suppose qu’il voulait que je me couchasse le long du soubassement de la clôture, ce qu’il fit lui-même probablement. J’aperçus quelques gars sautant dans une fosse. Je les suivis. C’était une fosse couverte. Un instant après, des morceaux de terre tombèrent sur nous et la lumière dans la fosse devint plus claire. Aussitôt, un ordre de retour fut donné. Nous sortons de la fosse et n’arrivons pas à reconnaître nos jardins. A proximité immédiate de notre fosse, il y avait un énorme cratère de bombe et un amas de terre sur lequel était couché le corps de mon oncle. Je n’avais pas le courage d’aller voir ma tante et lui rapporter l’événement, d’autant plus qu’il fallait ramasser encore une fois nos blessés pour les acheminer vers la rue Lenartowicza. La tante apprit la mort de mon oncle par l’intermédiaire des soldats qui ramassaient les morts et les blessés. C’était seulement vers le soir que ma tante m’envoya un message pour que j’allasse la voir. L’oncle était couché dans l’une des chambres de son appartement sur un catafalque de fortune. Au- dessous de lui, il y avait une mare de sang. Il avait la clavicule arrachée et un trou dans la tête. Il fut enterré dans le parc Dreszer. La semaine suivante, leur fils unique, Kazimierz, surnommé « Żuk » fut tué, lui aussi. Son corps fut enterré dans le parc Dreszer.
Parmi les blessés que je soignais il y’en avait un qui s’était blessé bêtement, dans les circonstances suivantes. Il avait trouvé avec ses copins un cheval. L’un d’eux nettoyait le cheval, l’autre nettoyait son fusil de chasse. A un moment donné, celui qui nettoyait le fusil frappa le cheval sur la croupe. Le fusil tira en blessant le garçon à la cuisse. La cuisse était farcie de grenaille qu’il était impossible d’extraire dans ces circonstances. Le soldat peu héroïque devait donc rester couché parce qu’il n’était pas question qu’il puisse marcher.
Nous fûmes cantonnés dans la rue Lenartowicza jusqu’à la fin de nos combats pendant l’Insurrection. Le 18 septembre, les superforteresses américaines survolèrent la ville pour parachuter les cargaisons de vivres, d’armes et de munitions. Elles avançaient dans l’ordre comme lors d’une parade. Pleins d’espoir, nous regardions vers le ciel parce que le spectacle était imposant. Les avions volaient à une haute altitude à cause de la DCA allemande. Malheureusement, la majorité des cargaisons tomba entre les mains des Allemands.
Le 24 septembre, les Allemands lancèrent une attaque violente et décisive sur Mokotów. On entendait le bruit d’une cannonade de toutes les armes possibles. Tous ceux qui pouvaient boitiller prenaient en main un bâton ou une planche et fuyaient vers le Centre Ville, en empruntant les tranchées. Seuls trois garçons immobilisés et "Białynia" restèrent. Je me portai volontaire pour rester à leur côtés avec Zosia tandis que toute la population civile quittait ses maisons et se repliait. Nous portâmes tous les blessés dans la cave. Soudainement, la bataille d’enfer se calma. Les troupes SS entrèrent. Quant à nous, il ne nous restait rien d’autre que de feindre d’avoir le statut de civils. D’abord, les Allemands nous ordonnèrent de porter les blessés à l’extérieur dans le but de les transférer vers un hôpital en dehors de Varsovie. Chacune d’entre nous prit un blessé pour le porter avec beaucoup de peine jusqu’au jardin. Nous n’avions plus la force d’avancer. Les Allemands nous regardaient en se moquant de nous. Tout à coup, ils nous obligèrent à porter les blessés à leur place initiale et, quand nous le fîmes, de nous rendre dans une villa dans la rue Krasickiego où il y avait deux blessés abandonnés, afin de les acheminer vers nous. J’ignorais la raison pour laquelle les infirmières avaient abandonné ces blessés à leur sort. Il s’avéra plus tard qu’ils avaient caché sous leurs coussins des pistolets, ce qui permit aux Allemands de savoir qu’ils n’étaient pas des civils. Nous les trainâmes sur des brancards et les couchâmes à côté des nôtres. Tout le temps, les Allemands affirmaient que les blessés seraient acheminés vers un hôpital. Un instant après, un des Allemands nous demanda de rester avec les blessés alors qu’un autre, Silésien, s’adressa à nous en polonais :"Rentrez à la maison" sur quoi nous retournâmes au jardin. Les fenêtres de la cave occupée par les blessés donnaient sur ce jardin. Au moment où nous traversions le jardin, nous entendîmes des tirs dans la cave. Il était devenu clair pour nous qu’on venait d’assassiner les blessés couchés dans leur lits. Nous étions pétrifiées par la peur après avoir compris que nous risquions de partager le sort des blessés. Un Ukrainien en uniforme SS nous approcha en demandant qu’on lui donne une montre. Zosia, qui était presque évanouie à cause de la peur, prit sa montre et la lui passa sans mot dire, après quoi nous nous éloignâmes sans être arrêtées. Je me souviens des noms des deux parmi nos trois blessés: Kazik Kozieradzki et ....... Wódkowski.
Nous marchions en direction de l’Hippodrome en compagnie d’un petit groupe de civils. Sur ce chemin, nous rencontrâmes le locataire de la maison dans laquelle nous étions cantonnées avec nos blessés. Il transportait sur son triporteur notre collègue "Białynia". Mainfestement, dans toute cette confusion liée à l’évacuation des blessés, il réussit à la prendre et l’aidait à s’évader de cet enfer. Nous nous approchâmes d’une écurie dans laquelle nous passâmes la nuit. Le lendemain matin, toutes les personnes âgées, les blessés et les mères avec enfants furent transférées en camions vers Pruszkow. Les autres étaient forcés à marcher.
Nous quittions les ruines de Varsovie. Au moment où nous passions à côté de l’aéroport, les avions soviétiques nous survolèrent ce qui provoqua la dispersion de notre escorte. Sur le bas-côté de la route, nous vîmes quelques femmes rentrant chez elles après les travaux des champs. Nous réussîmes à les rejoindre (moi-même et Zosia). C’était par ce moyen que nous nous évadâmes du transport acheminé vers le camp de transition de Pruszków. Nous arrivons donc jusqu’à la rue Grójecka et tombons droit sur un poste allemand, alors que nous sommes privées de toutes nos pièces d’identité! Heureusement, nous repérâmes des enfants traînant des chariots chargés de patates (c’était à Rakowiec, déjà au-delà des frontières de Varsovie, en conséquence, la vie y était normale par rapport aux réalités de l’Insurrection). Nous joignâmes les enfants ce qui nous permit d’éviter d’être contrôlées. Nous nous précipitâmes à travers un champ en direction de Otrębusy- localité desservie par un train de banlieue EKD. Une fois à la gare, nous fûmes saisies par la stupeur : on apercevait des étalages remplis de fruits et légumes. C’était comme si nous nous retrouvions soudainement dans un autre monde! Il nous était difficile de croire que la vie pût être normale dans ce lieu.
Je me séparai de Zosia; elle décida d’aller chercher ses connaissances, quant à moi, je me rendis à Grodzisk où je connaissais les époux Wehr, nos voisins d’avant-guerre, propriétaires d’un domaine avoisinant. Arrivée sur place, j’y rencontrai une vingtaine de rescapés de Varsovie, parmi lesquels ma tante Jadzia Jokiel. Toute la jeunesse dormait dans un des bâtiments de la ferme, étalée sur la paille recouverte de plaids avec ma tante Jadzia en qualité de chaperon.
La population civile était évacuée de Varsovie par des trains. Régulièrement, nous allions à la gare et quand les trains ralentissaient ou stoppaient, nous donnions aux gens du pain et de l’eau. Les Allemands nous chassaient, mais nous nous débrouillions quand même pour porter de l’aide aux passagers exténués. Au moment où l’Allemand était à l’un des bouts du quai, nous nous retrouvions immédiatement du côté opposé à lui.
Monsieur Wehr m’aida à me procurer une carte d’identité.
De temps en temps, Janek Jokiel venait nous voir à Grodzisk. Il apparaîssait soudainement pour disparaître peu de temps après. En effet, en tant que parachutiste formé en Angleterre, il était obligé de vivre en clandestinité. Il ne manifesta sa présence qu’aux proches de sa famille.
Au début du mois d’octobre, nous apprîmes que les malades et les blessés de l’hôpital Wolski venaient d’être transférés à Milanówek et que parmi eux se trouvait la soeur de ma Mère, tante Marianna, gravement blessée par les éclats des grenades lancées par les soudards de Wlasow. J’allai donc à Milanówek pour prendre ma tante à Grodzisk. Cependant, la maison des époux Wehr, quoique très hospitalière, était comble et ne pouvait contenir plus de rescapés. Aussi fallait-il la quitter parce que les possibilités d’approvissionnement s’étaient complètement épuisées.
élaboré par: Maciej Janaszek-Seydlitz
Traduction: Wojciech Włodarczyk
le pseudonyme "Wandzia"
soldat de l’ AK, infirmière portant
compagnie "Jeremi"
1ère Escouade de l’Artillerie Hippomobile « général Bem », patrouille sanitaire