Témoignages des insurgés
Débris des souvenirs. Occupation et Insurrection de Varsovie – mémoires d’un insurgé de 15 ans
Tirailleur-chef Witold Konecki pseudonyme "Sulima",,
Bataillon "Chrobry I"
Groupement "Sosna”
OCCUPATION
Je suis né le 23 février 1929. Ma mère, Cecylia Wanda Garbowska, était fille d’un propriétaire terrien portant le blason des "Sulima", qui possédait un domaine près de Varsovie appelé Biskupice. Mon père Stanisław Konecki s’occupait de la gestion de notre domaine situé à Miłonice près de Kutno, en exerçant une activité agricole et industrielle.
J’ai passé mon enfance la plus tendre dans notre maison familiale en pleine prospérité , entouré d’un climat d’affection familiale, de partiotisme et de dévoument à la religion. Mes parents prenaient un grand soin de notre maison : ancien manoir construit d’un bois de mèleze au toit avec bardeaux, situé à Miłonice. J’ai fréquenté l’école primaire jusqu’au deuxième niveau, après quoi je continuais mon éducation à la maison en recevant des leçons privées.
Août 1939 - depuis quelques semaines, l’ambiance dans notre maison n’était pas habituelle : une nervosité générale était répandue, on parlait souvent du risque d’une guerre, de l’hostilité de l’Allemagne envers la Pologne et de la préparation de l’armée polonaise au combat. Mon père était actif au sein de la Ligue pour la Défense Nationale. Ma mère constituait des provisions de farine, de sucre, de sel et de savon.
Le 1er septembre, dès le petit jour,nous avons été réveillés par le bruit des moteurs des avions survolant à très haute altitude suivi par le son sourd des explosions. Une nouvelle s’est répandue que c’étaient les manoeuvres attendues depuis un certain temps dont le but serait de stopper les Allemands en leur montrant la puissance de l’armée polonaise. Toutes ces illusions ont été dispersées par la nouvelle officielle : c’est la guerre qui vient de commencer et l’armée allemande attaque la Pologne au sol, sur la mer et dans l’air. Ensuite, les événements se sont suivis à la chaîne : raids aériens et bombardements, fumée et lueur des incendies au-dessus de la ville de Kutno, panique de la population civile et décision de mon père de nous évacuer immédiatement. Nous avons avancé jusqu’au village Biskupice aux alentours de Brwinów. C’est là que nous nous sommes retrouvés en plein coeur d’une bataille sanglante pendant laquelle nous étions cachés dans les souterrains d’une maison en briques.
En novembre 1939 nous avons réussi à retourner pour peu de temps au domaine de Miłonice. En février 1940, le domaine a été confisqué par le Troisième Reich. Nous avons reçu l’ordre de quitter notre maison natale sous les 24 heures. Nous avons franchi la frontière du Gouvernement Général démunis de tout bien. C’est avec beaucoup de peine que mon père a réussi à prendre à bail une exploitation agricole tout à fait dévastée et désertée, dans laquelle nous nous sommes installés. Cependant, en septembre 1940, nous avons été expulsés de nouveau par les Allemands sans autre forme de procès, notre exploitation étant reprise par une famille allemande.
Nous avons réussi enfin à prendre une petite ferme à la lisière de Brwinów et de Podkowa Leśna. Ma mère devenant de plus en plus malade après tous ces évènements tragiques avait besoin des soins médicaux. Nous avons tous travaillé à la ferme : mes parents, ma soeur et moi-même. Malgré ces circonstances, j’essayais de ne pas négliger mon éducation. Je m’éduquais d’abord à la maison, ensuite, à partir de 1942, je suis devenu élève de la sixième classe d’une école privée à Milanówek. Depuis septembre 1943, je participais aux cours clandestins à Milanówek- j’y allais en train de banlieue « EKD ». A chaque fois, on donnait des cours dans un local différent, l’apprentissage ayant un caractère strictement clandestin. Pour des raisons de sécurité, les instituteurs nous interdisaient de porter des sacs et cartables. Les manuels étaient apportés par l’instituteur d’astreinte ou par un des élèves, toujours en un seul exemplaire. Les locaux servant à l’apprentissage étaient mis à disposition par les instituteurs ou par les parents des élèves seulement pour quelques jours. Dans ces circonstances, nos salles d’école changeaient tout le temps.
RÉSISTANCE
Le risque lié à l’apprentissage clandestin devenait de plus en plus important ce qui forçait les instituteurs et les comités des parents à renforcer progressivement les mesures de securité. Sur ce plan, la situation s’est amélioré considérablement grâce à l’instauration à Milanówek d’une organisation clandestine des scouts "Rangs Gris", dont le commandement a été confié à M. Trząski pseudonyme "Pantera" et la fonction de chef scout à Marian Hassa pseudonyme "Orzeł". Le groupe de scouts de Milanowek faisait partie du district de Mazovie appelé "Puszcza" et était rattaché du point de vue organisationnel à la direction A.K. de la circonscription de Błonie qui dépendait à son tour à la sous-région A.K. Varsovie-Ouest portant le cryptonyme "Halerowo". Le commandant de cette sous-région était le colonel Franciszek Jachać pseudonyme "Roman".
J’ai integré bientôt moi-même cette organisation, ce qui s’est produit en octobre 1943. Nous avons prêté le sermon à la lisière de Milanowek en présence de Marian Trząski pseudonyme "Pantera". "Pantera" a sorti de sa poche une Croix des scouts et entendu les paroles du sermon de chacun de nous. Selon la formule du sermon, nous deux doigts de la main droite étaient appuyés sur un crucifix. Les paroles du sermon "nous consacrerons toute notre vie au service de Dieu et de la Pologne et obéirons à l’ensemble des règles de conduite des scouts " se sont profondément gravées dans nos coeurs. J’ai pris pour mon pseudonyme le nom de "Sulima" et l’on m’a affecté à l’escouade de "Sowa" (Andrzej Jaczewski) à laquelle appartenaient aussi quelques-uns de mes collègues dont j’avais fait connaissance à l’époque de l’éducation clandestine: "Pućka" (Stanisław Gadomski), "Puchacz" (Janusz Kokeli), "Magik" (Achilles Śliziński), "Furman" (Zdzisław Janiszewski). Mon ami "Mazur" (Witek Sąchocki) et Jurek Hoffman ont été affectés à l’escouade de « Orzeł ».
|
|
Nos premiers rassemblements clandestins étaient vraiment fascinants. Le programme préliminaire conçu pour les groupes clandestins prévoyait la transmission des informations importantes provenant de la ligne du front, l’acquisition des différentes aptitudes du scout, les exercices et la démonstration des principes de base à respecter dans le cadre de l’éducation clandestine. Nos rencontres avaient lieu au moins 1 fois par semaine, ce qui créait chez nous un esprit de corps et une discipline proche de la discipline militaire, en déclenchant une ardeur belliqueuse et une volonté de rapprochement mutuel. Cependant, ce qui nous manquait c’étaient des exercices pratiques et des opérations clandestines menées pour combattre notre occupant hitlérien. Nos esprits "chauds" recherchaient des aventures et plus de tension émotionnelle. L’organisation des scouts « Rangs Gris » de Milanowek coopérait avec nos instituteurs clandestins, parmi lesquels on peut citer Mesdames Frejlichowa, Leciejewicz, Niepokulczycka, Chmielnicka, Fiedorowicz et Messieurs Czertwentyński et Jaczewski.
Au petit matin à l’automne 1943, je prenais le train de banlieue EKD allant de Podkowa Leśna à Milanowek et je m’étais assis face à une petite fillette brune à l’âge de 8-9 ans. A la gare Podkowa Leśna Główna sont montés dans notre voiture par deux côtés du train 4 gendarmes allemands portant des pectoraux d’acier sur leurs poitrines. Ils ont commencé à observer attentivement tout le monde. La petite fillette à capté l’attention des gendarmes. L’un d’eux s’est écrié – Jude ! – après quoi il a attrapé la fillette par les bras et l’a emporté en dehors du train. L’enfant pleurait et s’accrochait aux bras du gendarme en criant terriblement et implorant la pitié. Elle devinait le sort terrible qui lui était reservé. Quelques minutes plus tard, elle était déjà attachée au petit bouleau blanc à l’aide d’un fil électrique et fusillée à proximité de la guérite du chef de gare. Quelques hommes amenés de force du train et du quai ont enterré le corps de la fillette sur le lieu de son exécution.
J’ai été témoin oculaire de ce crime. J’ai éprouvé alors un profond choc mental. Je me souviens seulement que c’était à ce moment-là que je m’étais décidé, en pleine conscience, à rechercher la vengeance sur l’ennemi. J’avais alors quinze ans. Je suis rentré à la maison intimement convaincu que l’impératif moral de lutter contre l’ennemi pesait lourdement sur moi (je le ressentais vraiment de cette façon). En peu de temps, je suis entré en relation avec Stefan Kozłowski, mon ancien instituteur, en le priant de m’aider à quitter les « Rangs Gris » et intégrer l’organisation clandestine. Il s’était avéré qu’il était membre de l’Armée de l’Intérieur active aux abords de Varsovie. C’est lui-même qui a réglé toutes les formalités liées au changement d’affectation de 5 garçons, y compris moi-même : nous n’étions plus des scouts mais des soldats de l’Armée de l’Intérieur.
C’étaient: Witold Sąchocki pseudonyme "Mazur", Witold Konecki pseudonyme "Sulima", Zdzisław Janiszewski pseudonyme "Furman", Zbigniew Rybacki pseudonyme "Ryś" et Jurek Hoffman pseudonyme "Jur". Mon cousin de 19 ans, aspirant Tadeusz Wieszczycki pseudonyme "Drzymała", faisait également partie de ce groupe. Cet événement important est relaté dans les souvenirs de Witek Sąchocki (Mazur): "Un fait important s’est produit. Mon ami de Podkowa Leśna; Witek Konecki pseudonyme "Sulima" m’a demandé, comme par hasard, si j’avais envie de rejoindre un détachement très brave de l’Armée de l’Intérieur formé à partir des soldats des « Rangs Gris », appartenant aux soldats du groupement de "Radosław" opérant dans la zone de Varsovie. "Sulima" a fait des propositions similaires à nos autres collègues...". .
Le sermon militaire a eu lieu dans une chambre en mansarde d’un immeuble inachevé appartenant à une école agricole de Pszczelin et dans la forêt de Młochów. Mes activités d’écolier ont été reléguées au second plan, cependant j’ai réussi à passer la deuxième classe du gymnase. Le travail pour le compte de l’organisation AK dans Varsovie et dans ses faubourgs me prenait beaucoup de temps.
Ce travail était centré sur un entraînement théorique et pratique couvrant les problèmes suivants:
- Maniement des armes telles que fusil court KBKS, Parabellum, pistolets Vis et Walther (les exercices se déroulaient à l’arrière d’une boucherie située dans la rue Grochowska).
- Les combats dans une ville – analyse du système des passages souterrains, des égouts, des caves, présentation des plans de situation et des plans de la ville en tenant compte plus particulièrement des points occupés par les Allemands. On s’intéressait également aux modalités de construction des barricades, aux combats sur les barricades, aux relations avec la population civile et à la sécurité personelle. Ce type d’instruction avait lieu dans les points de « vigilance » , entre autres dans les rues Ceglana, Śliska et Skorupki.
- Les essais de tir, exercices et sermons qui avaient lieu dans la forêt de Młochów, à Podkowa Leśna et à l’école agricole de Pszczelin. Plusieurs détachements participaient à ces exercices. Notre groupe effectuait ses activités quotidiennes conformément aux ordres du commandant. Dans la plupart des cas, on nous confiait des activités auxiliaires à l’occasion des différentes opérations p.ex. transfert d’armes, diffusion de la presse clandestine, services de guide dans les forêts autour de Varsovie (notre spécialisation), surveillance secrète des personnes suspectées de la coopération avec l’occupant, maintien de la liaison entre différents membres de notre organisation.
Aux temps de l’occupation, notre groupe de jeunes n’était en contact direct (pour des raisons de sécurité) qu’avec le sous-lieutenant Tadeusz Wieszczycki pseudonyme "Drzymała" et le chef de peleton Stefan Kozłowski pseudonyme "Mirecki". Nous faisions tous partie du groupement "Sosna" Chrobry I placé sous le commandement de Gustaw Billewicz pseudonyme "Sosna". Nous n’étions pas des héros : nous nous occupions des tâches militaires classiques correspondant à notre âge et qualifications.
Août 1942. Photo de famille prise dans une rue varsovienne.
Le premier à droite : Stefan Kozłowski pseudonyme "Mirecki", mon commandant pendant l’Insurrection au sein du Groupement AK "Sosna".
Le travail clandestin devenant de plus en plus intensif, nous nous sommes enfin trouvés obligés de déclarer à nos Parents que nous appartenions à une organisation clandestine et que notre présence à la maison serait de ce fait de plus en plus limitée. Il est difficile de décrire aujourd’hui les différentes réactions de nos mères et pères. Dans le cas de mes parents, c’était d’abord le désespoir suivi d’une courte résistance, débouchant sur la reconnaissance du fait que voilà le fils quitte sa maison natale pour prendre part, selon ses possibilités, à la lutte contre l’occupant.
A une dizaine de jours avant l’Insurrection de Varsovie, nous avons réçu l’ordre d’être en permanence disponibles sur les lieux de « vigilance » dans Varsovie, en l’occurence c’étaient les rues Ceglana, Śliska et Skorupki. Avant la réalisation de cet ordre, on nous a permis de faire des adieux à nos familles et d’emporter tous les objets personnels indispensables. Mes parents m’ont accompagné jusqu’à la gare en me remettant un paquet de bonbons. Je suis incapable de décrire leur état d’esprit au moment de la séparation. Tout ce que je peux dire ce qu’ils l’ont vécu avec courage.
INSURRECTION DE VARSOVIE
Depuis le 26 juillet 1944, notre organisation était en état d’alerte renforcée. Nous étions tous cantonnés dans nos quartiers de "vigilance". Quelques jours plus tard (30 juillet) une alarme a été proclamée, pour être ensuite annulée. Le 1er août matin, Zbyszek Rybacki et Maciek Kasur ont reçu la permission de faire une courte visite de quelques heures dans leurs maisons, alors que Leszek Janiszewski a obtenu l’autorisation de rendre visite à son père qui travaillait dans la rue Marszałkowska. Moi-même, j’étais cantonné dans le quartier de "vigilance" situé dans la rue Ceglana. Vers 10h00, un agent de liaison est venu me voir pour me remettre l’ordre de me présenter devant le chef de peleton « Mirecki » dans la rue Skorupki. J’y ai déjeuné et vers 15h00, j’ai reçu l’ordre de chercher dans un magasin deux paquets et les transporter avec un de mes collègues à la rue Karolkowa où était situé un point de contact, pas loin de l’usine de Philips. Vers 16h30 le chef de peleton « Mirecki » nous a rejoint en nous annonçant qu’il y avait une alarme et un état de vigilance rigoureuse.
Peu de temps après, nous avons entendu des tirs isolés. L’action des insurgés était lançée. On nous a donné le mot de passe et des brassards rouge et blanc que nous devions enfiler dans les lieux prévus pour le combat. Ayant sorti sur la rue Marszałkowska, nous observions la circulation anormale des passants qui couraient dans tous les sens. A proximité de la rue Nowogrodzka, les civils ont renversé un tramway et étaient en train de construire une barricade. On apercevait de plus en plus de soldats armés portant les brassards rouge et blanc. De minute en minute, la mitraille autour des points de résistance allemande s’intensifiait. Les brassards des insurgés étaient déjà sur nos bras. Nous courions de porte en porte en portant des paquets lourds. A tout moment, nous lancions les mots d’ordre qu’on nous demandait de donner. C’était un chemin long et dangereux sous le feu intense de l’ennemi.
Tard dans la soirée nous sommes arrivés à l’immeuble des chemins de fer situé à l’angle de Aleje Jerozolimskie et de la rue Żelazna. C’était le lieu d’un grand combat avec les transports allemands se déplaçant sur la voie ferrée en direction de la Gare Centrale. On lançait des bouteilles remplies d’essence, des grenades, des armes automatiques crépitaient. Assoifés du combat, nous avons jeté sur l’ennemi quelques bouteilles d’essence. C’est avec une grande peine que nous avons expliqué aux garçons qui se battaient là que nous ne pouvions pas rester plus longtemps avec eux et que nous devions poursuivre notre chemin. Le commandant de ce poste nous a enfin laissé partir après la discussion avec le chef de peleton "Mirecki".
Le franchissement de la distance nous séparant de la rue Karolkowa a pris encore plus de 2 heures sous un feu très intense, mais s’est terminé par un succès. Vers minuit, nous nous sommes présentés dans le hall d’accueil de l’usine Philips qui se retrouvait déjà entre les mains de nos soldats. On nous a raconté que l’attaque avait été courte et efficace et les pertes minimes. Le chef de peleton "Mirecki" a transmis au commandant du poste des paquets qui, selon toute vraisemblance, étaient remplis d’armes courtes, de munitions, de brassards et de pansements. C’était chez Philips que j’ai rencontré notre groupe, au sein duquel j’ai vu Tadeusz Wieszczycki "Drzymała" et Witek Sąchocki "Mazur". Nous nous sommes reposés un peu et sommes arrivés le lendemain à la rue Grzybowska où nous avons trouvé des logements dans la laiterie de Agril et dans la brasserie de Haberbusch.
Après la prise du Poste de Commandement de la Police dans la rue Ciepła, nous avons reçu des uniformes identiques. Je faisais mon service en tant que sentinelle alors que mes collègues montaient en ligne quelque part aux alentours de la rue Wolska. Quelques jours après, nous avons été déplacés en direction de Leszno et des immeubles du Tribunal d’arrondissement. C’était là que c’est produit un évènement inattendu. Notre détachement a été dissous où plutôt partagé en deux parties. Le commandement a été modifié. Un de ces deux groupes (celui qui était mieux armé) a été envoyé dans la Vieille Ville, alors que le deuxième groupe a dû partir au Centre Ville. Le lieutenant Tadeusz Wieszczycki pseudonyme "Drzymała" est parti avec le premier groupe. Quant à moi, je suis resté avec le deuxième groupe et le chef de peleton "Mirecki" et Witek Sąchocki. Auparavant j’avais dû vivre un moment d’une grande peine : on m’avait privé brutalement de mon pistolet Parabellum qui était ma propriété personelle. J’avais acheté ce pistolet en dépensant mes propres économies pendant la période qui précédait l’Insurrection, auprès de mon ami qui faisait du commerce d’armes avec des Hongrois dans la Gare Centrale. Dans ces circonstances, ma demande de faire partie du premier groupe a été rejetée.
Notre chemin menait maintenant à travers Hala Mirowska et Plac Grzybowski. C’est là que nous avons subi un bombardement intense. Avec beaucoup d’efforts et de sacrifices, notre groupe s’est consacré au secours des personnes ensevelies sous les décombres de l’église Wszystkich Świętych. Il y avait beaucoup de morts et de blessés. Notre point de destination était l’immeuble situé 123 et 125 rue Marszałkowska où se trouvait le groupement de la IVème Région placée sous le commandement de major Steczkowski pseudonyme "Zagończyk". J’ai été affecté à la compagnie "Stefan", 2e peleton du lieutenant "Sławek" et à l’escouade d’alarme et d’observation du capitaine "Zet" Jan Loski (officier chargé de la formation). Witek Sąchocki a été muté à l’escouade du lieutenant "Ruma" et le chef de peleton Stefan Kozłowski pseudonyme "Mirecki" au commandement de la IVème Region.
Situé avec mes collègues dans une mansarde, je remplissais la fonction d’observateur chargé de rapporter au poste central la localisation des attaques aériennes et de l’artillerie ainsi que les mouvements de l’armée allemande aux abords du Jardin Saski. Ce poste, équipé d’instruments optiques et d’un standard téléphonique, était prévu pour deux personnes. On exigeait de nous une connaissance parfaite du terrain (dans la zone exposée aux attaques de l’ennemi) et une utilisation sans faille de la carte de la ville. Ce service exigeait de nous un sens aïgu des responsabilités. En effet, en s’appuyant sur nos observations et rapports, le commandement rédigeait des bulletins d’information journaliers pour le Commandement suprême de l’Insurrection.
Les avions allemands nous survolaient à trois ou à quatre à basse altitude et larguaient des bombes aux endroits prévus à l’avance, en détruisant systématiquement les immeubles et les quartiers se retrouvant entre les mains des Insurgés. C’était atroce de voir ces avions avec des silhouettes de pilotes bien visibles survolant leur objectif et larguant deux ou trois bombes pour prendre ensuite de l’altitude et revenir dans 40-60 minutes pour une nouvelle attaque. Nous ne ressentions aucune crainte. Les rapports téléphoniques préparés par une analyse détaillée et soignée étaient transmis immédiatement au poste central. Nous étions conscients que notre travail était utile et que notre service avait une dimension concrète, ce qui se réflétait dans les félicitations que nous adressaient nos supérieurs.
Les bombardements s’intensifiaient : trois à cinq raids aériens par jour provoquaient des destructions énormes couvrant les zones de plus en plus proches de notre poste d’observation.Notre escouade montait aussi la garde à l’entrée de l’immeuble. Bénévolement, elle donnait aussi appui au peleton du sous-lieutenant "Sławek" lors des patrouilles aux alentours du Jardin Saski et a pris part à l’assaut de "Pasta" se trouvant à proximité immédiate de notre poste. Sur l’ordre du capitaine "Zet", j’ai franchi deux fois l’avenue Aleje Jerozolimskie en portant des documents destinés aux unités cantonnées dans la rue Wilcza. Le passage de l’avenue Aleje Jerozolimskie s’effectuait sous un feu intense de l’ennemi alors que la barricade surveillée par une unité spéciale des insurgés ne garantissait pas l’entière sécurité puisqu’elle était exposée aux tirs en provenance de la Banque BGK.
Peu de temps après, nous avons vécu la journée tragique de notre gropement. J’étais posté avec mon collègue sous les combles de l’immeuble 125 rue Marszałkowska. Nous observions les attaques aériennes et donnions des alertes. Après 9h00, les raids des stuka contre les immeubles avoisinants ont commencé. Par ailleurs, nos rapports mentionnaient bien l’existence d’un danger imminent. Tout d’un coup, nous voyons 3 avions effectuant un vol en piqué sur nous, on aperçoit clairement les vitres de l’habitacle et les silhouettes des pilotes, tout cela se joue en quelques fractions de seconde. Notre rapport téléphonique a été coupé au milieu, nous avons entendu un bruit énorme et trois explosions successives ont sécoué notre immeuble. Autour de nous, rien d’autre que la poussière, l’obscurité et l’odeur spécifique d’ammoniac. L’onde de choc nous a étalé sur le plafond. Couchés et immobiles, nous sommes quand même saufs et vivants. Après une dizaine de minutes, nous tentons retrouver la cage d’escalier, mais elle n’existe plus démolie par les bombes. Nous entendons les cris des blessés et des appels au secours.
Un certain temps après, le bombardement des immeubles voisins récommence : un vrai cauchemar. Il paraît que le chemin de retour est coupé, mais non, quelques minutes après, quand la poussière tombe un peu, nous retrouvons la descente d’urgence et sommes debout sur la cour de l’immeuble encombrée de gravats. Il y a des tués et des blessés, nombreux sont ceux qui sont ensevelis dans les caves. Neuf de nos collègues périrent ensevelis sous les décombres, au moment où ils se réposaient dans un local situé dans le pignon de l’immeuble. L’annexe du milieu où se trouvait notre commandement n’a pas été touchée. Le lendemain, le poste d’observation et d’alarme a été réactivé. C’était une dure épreuve pour nous de faire le deuil de nos collègues dont l’enterrement solennel a eu lieu dans la cour de l’immeuble; l ‘office a été célébré par notre aûmonier. Nous étions privés d’eau et les portions alimentaires avaient été réduites considérablement.
Dans ces conditions, j’ai accepté avec beaucoup de satisfaction la proposition de mon collègue de quitter notre quartier clandestinement pour traverser l’axe de Aleje Jerozolimskie et aller chercher quelques caisses de beurre fondu stockées dans une laiterie. Ce projet dangereux et audacieux a été mis en oeuvre. Nos armes avaient effrayé les garçons qui surveillaient la laiterie ce qui nous a permis d’emporter 2 caisses de beurre lesquelles, une fois acheminés à notre quatier, ont été divisées de manière à ce que chacun de nous obtienne une portion égale. Quelques heures après nous avons été désarmés et arrêtés par les soldats du Corps de Sécurité (KB). L’affaire commençait à être sérieuse. Nous avons été emmenés à la rue Szpitalna et placés sous surveillance dans une cave au-dessous du quartier de KB. Nous devions passer devant le tribunal militaire.
Les nerfs en pelote, nous avons passé la nuit dans l’attente du pire. Au petit matin, nous nous sommes retrouvés au milieu d’un bombardement intense. Tout l’immeuble a croulé sous les bombes. Quelques soldats KB ont péri ; il y avait également des blessés et ensevelis sous les décombres alors que nous- mêmes étions en vie. Dans la cave, il faisait noir, il y avait de la poussière et l’odeur déjà connue de l’ammoniac. La petite fenêtre était totalement couverte par les décombres. Quelques heures plus tard, nous entendons des voix à l’extérieur. Bientôt, la fenêtre a été dégagée et nous avons pu voir les visages connus de nos colègues, qui étaient venus en aide. Nous étions sauvés et retirés à l’extérieur. Le sauvetage se déroulait très rapidement sous l’escorte de nos collègues armés. Il paraît qu’après le bombardement, l’unité décimée des soldats KB ne pensait plus à ses prisonniers.
Après un bombardement puissant de notre quartier qui a duré quelques jours, les fonctions de notre escouade ont pris une autre forme. Nous avons reçu l’ordre de sauver des décombres les soldats et les civils dans la zone délimitée par les rues suivantes: Bracka, Szpitalna, Matejki, Jasna et Chmielna, en utilisant à cette fin les prisonniers de guerre allemands détenus dans l’immeuble PKO. Chaque jour, nous prenions avec nous huit Allemands et surveillions leur travail qui consistait à sortir des blessés et des morts gîsant sous les décombres. C’était une grande joie pour nous d’observer la panique des Allemands pendant les raids aériens et le bombardement. Ils voulaient à tout prix se cacher dans les caves et recoins des maisons bombardées. Au moyen des salves de nos pistolets, nous les forçions à rester sur leurs postes de travail (nos salves n’ont jamais été meurtières).
Quelques jours sont passés et nos unités ont été mutées de la rue Marszałkowska 125/123 à la rue Złota 62 : nous occupions maintenant un solide édifice de cinq étages. Notre travail d’observation et d’alarme a été réactivé et la durée du service prolongée (2 x 8 heures). Les postes étaient unipersonnels. Nous avions aussi un nouveau commandant dans notre escouade. C’était un chef de peleton plus âgé que nous et expérimenté, couragé et respectueux du règlement jusqu’aux moindres détails. Le service en mansarde était dur, particulièrement à cause de la solitude et de l’absence du sommeil. Les bombardements aériens se sont terminés, par contre les pillonages par l’artillerie ont monté en puissance, particulièrement du fait du canon ferroviaire et des « vaches » (" Nebelwerfer " ). Les nuits étaient relativement calmes, nous observions surtout de nombreux incendies. Un jour, je m’étais endormi sur mon poste et mon chef de peleton m’a réveillé en versant sur moi un seau d’eau puante qui était puisée dans un réservoir anti-incendie. J’étais terrifié ne sachant ce qui m’arrivait. Comme punition, j’ai dû prendre en charge un service de nuit supplémentaire et me présenter constamment au commandant d’astreinte. Le chef de peleton était redoutable, mais compréhensif – je pense qu’il symphatisait avec moi.
Un jour vers 9h00, au moment où j’étais de service en mansarde, une lourde explosion provoquée par le canon ferroviaire s’est produite aux alentours de la rue Sienna, ce que je n’ai pas manqué de rapporter. Bientôt mon chef de peleton m’a rejoint pour observer le secteur avec moi. Tout à coup, nous avons entendu le sifflement caractéristique de l’obus du canon ferroviaire. Nous avons senti un choc puissant dans notre immeuble suivi quelques fractions de secondes d’une explosion terrible au niveau des étages inférieurs. J’avais la sensation comme si notre immeuble se serait rélevé après quoi il s’est désagrégé complètement. L’annexe située à droite de notre immeuble s’est transformée en un amas de ruines. Je me suis retrouvé dans un hôpital rue Sienna. J’avais perdu conscience et ne pouvais pas parler. Quelques heures plus tard, grâce aux efforts acharnés des médecins, j’ai repris conscience. Peu de temps après, je pouvais parler. J’étais contousionné et égratigné. Mes collègues m’ont rapporté que j’étais tombé de la mansarde sur le deuxième étage et j’étais couché sur une poutre. Le sort de mon chef de peleton avait été terrible : ses restes massacrés ont été ramassés dans un sac et enterrés dans la cour. Après un séjour de deux jours à l’hôpital, j’ai rejoint sur ma demande mes collègues qui, entretemps, s’étaient déplacés avec tout le commandement en face de mon hôpital (65, rue Złota).
La nouvelle de la capitulation de l’Insurrection a été accueillie par nous avec courage et larmes aux yeux. Nous nous dépêchions pour endommager nos armes personnelles et le matériel militaire en notre possession pour les rendre inutiles aux Allemands. Nos commandants nous ont informé des promotions et des distinctions militaires reçues (dans mon cas, c’était une Croix Bronze de Mérite avec Épées et une Croix de Vaillance). En plus, nous avons touché la solde de 20 dollars et exhortés à rester soldats afin de partir aux camps pour les prisonniers de guerre. Ces indications ont provoqué un large débat, voire une résistance. A ma connaissance, de nombreux officiers professant ces idées ont évité pourtant les camps allemands pour les prisonniers de guerre, en quittant Varsovie en tant que civils. Tôt le matin, le 4 octobre, nos détachements qui faisaient maintenant partie du 15e régiment d’infanterie ont traversé la place Kercelego, où nous avons déposé nos armes et nous nous sommes rendus entre les mains des Allemands.
Witold Konecki
traduction: Wojciech Włodarczyk
Tirailleur-chef Witold Konecki pseudonyme "Sulima" |
Copyright © 2006 Maciej Janaszek-Seydlitz. All rights reserved.