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Interview avec Stanislas Likiernik

La présente interview résulte d’un échange de courrier. Les soulignements dans le texte sont faits par Stanislas Likiernik.



         Stanislas Likiernik naquit le 25 juin 1923 à Garwolin. Pendant l’occupation allemande, il appartenait à l’une des premières organisations clandestines, dénommée Union pour la Lutte Armée (ZWZ). Ensuite, il prit part à de nombreuses opérations de diversion et de sabotage organisées par „Kedyw” – filière de diversion du Commandement Suprême de l’Armée de l’intérieur (AK). Son activité et celle de ses collègues pendant cette période est décrite sous une forme littéraire, mêlée d’éléments d’affabulation, dans le livre de Roman Bratny „Kolumbowie” (personnage de Skiernik). Son parcours de combattant pendant l’Insurrection de Varsovie passait à travers les quartiers de Wola, Vieille Ville et Czerniakow, dans les rangs de l’unité d’élite „Radoslaw”. Blessé trois fois, il fut décoré par la Croix de Valeur Militaire et par l’Ordre de Guerre „Virtuti Militari” (équivalent de la Légion d’Honneur à titre militaire). A plusieurs reprises, il frôla la mort, entre autres, avec ses collègues du bataillon „Zoska” et du Kedyw, il passa de la Vieille Ville jusqu’au Centre Ville à travers le Jardin de Saxe, encerclé par les Allemands, ce qui constitue l’un des exploits les plus insolites de l’Insurrection. Sa vie est décrite dans une biographie parue en français, intitulée avec éloquence: „Une jeunesse polonaise 1923-1946- Damnée Chance ou Doigt de Dieu?” (Editions l’Harmattan Paris 1996, extraits disponibles sur ce site, dans la section „témoignages”). La version anglaise de ce livre a été publiée sous le titre „By Devil’s Luck” (Editions Mainstream Edinborough). En 1946, il émigra en France où il habite jusqu’à présent. Pendant 25 ans, il occupa des postes de responsabilité chez Philips. Marié à une Française, il éleva deux enfants, et a trois petits enfants. Stanislas Likiernik est membre du Conseil Honorifique de la Construction du Musée de l’Insurrection de Varsovie.



Photographie de Stanislas Likiernik sur la carte d’identité scolaire avant la guerre, en 1939


                  1. W.W.: 1. Pour commencer, je me permets de vous poser quelques questions ayant un lien direct avec vos mémoires „Damnée chance ou Doigt de Dieu?”
J’ai toujours été impressionné par la fameuse action de passage à travers le Jardin de Saxe, occupé par les Allemands. Le livre de Aleksander Kaminski „Bataillons Zośka et Parasol” donne un récit des deux conversations avec les Allemands durant ce passage, déployés sur leurs postes dans le Jardin. Il est difficile de croire que les Allemands aient été insensibles à l’aspect du détachement des insurgés (uniformes sales, déchirés et imbibés de sang, pansements aux visages, infirmières au milieu d’un groupe de soldats). Ils tardaient peut -être à réagir parce qu’ils étaient conscients qu’en cas de déclenchement d’une alerte, ils seraient les premiers à perdre leur vie: vous défiliez à une distance de quelques pas.
A votre avis, une telle hypothèse est-elle plausible? Est-ce que le Jardin était sombre à tel point qu’il empêchait une identification précise ou bien il était éclairé par les lueurs d’incendies? Est-ce que vos brassards rouge-blanc étaient enlevés ou seulement roulés, comme le rapporte Aleksander Kamiński?

         S.L.: Je n’ai été témoin, ni au courant, d’aucune conversation avec les Allemands, à l’exception de celle qui a eu lieu au moment du passage de la rue Marszałkowska. Les brassards étaient enlevés et le parc était envahi par l’obscurité, sans lueurs d’incendies. A ce moment-là, la Vieille Ville était déjà loin derrière nous et –paraît-il- déjà fortement calcinée, alors que le Centre Ville n’était pas en flammes à cette époque.


                  2. W.W.: 2. A la suite d’une blessure dans le quartier Wola, vous étiez hospitalisé et vous avez perdu votre uniforme: treillis de camouflage allemand („panterka”). A un moment donné, vous avez obtenu des vetêments civils. Ensuite, vous avez participé aux combats dans la Vieille Ville et à la percée jusqu’au Centre Ville (c’est à ce moment là que les uniformes de camouflage allemands des insurgés, les faisant passer pour des soldats allemands, se sont avérés particulièrement utiles) pour terminer l’insurrection dans le quartier Czerniakow.
Est-ce que vous avez reçu un nouvel uniforme, si oui, dans quelles circonstances: à ce sujet, il n’y a aucune précision dans vos mémoires?


         S.L.: C’est une question que je me pose moi-même. J’ai un trou de mémoire à ce niveau-là. Je suis incapable de vous dire comment, dans la Vieille Ville, j’ai réussi à porter un uniforme. Il se peut que quelqu’un m’ait donné une „panterka”, peut-être un de nos blessés.
Votre question m’a surpris. Je ne garde non plus aucun souvenir de ma vie „physiologique” – qu’est-ce que j’ai mangé, bu, comment et où je me lavais (j’espère que je me lavais quand même).





Le groupe des insurgés-partisans à Wola (2/8/1944), ouest de Varsovie, en tenue de parachutistes allemands pris rue Stawki dans les magasins de l’occupant;
l’auteur est parmi eux, au troisième rang (debout), neuvième du côté droit de la photographie


                  3. W.W.: 3. Vous avez écrit dans vos mémoires que le sentiment de la chute certaine de l’Insurrection s’est imposé à vous vers la fin d’août 1944 (après l’insurrection de Paris).
Quelle était l’évolution de votre perception de l’insurrection pendant toute sa durée?
A partir de quel moment vous avez commencé à vous rendre compte du changement de la situation en la défaveur de l’insurrection?


         S.L.: La conscience ou plutôt l’anticipation de l’impossibilité de faire une insurrection efficace (insuffisance d’armes etc. ) – je l’ai déjà écrit dans mes mémoires – était présente dans nos esprits déjà avant l’Insurrection. J’étais convaincu moi-même que si elle devait éclater, ce serait forcément en concertation avec les Russes.
L’insurrection conçue comme une „surprise” à l’encontre de Staline qui était un ennemi déclaré du gouvernement en exil polonais et de l’Armée de l’intérieur n’avait aucune chance de réussite. Les Allemands ont fait le „sale boulot” pour le compte de Staline, ce qui s’inscrivait dans la logique de la coopération entre les Allemands et les Soviétiques dans les années 1939-41. Dans la Vieille Ville- je me réfère ici à ma conversation avec „Jodla” (Krzymowski) – nous n’avions aucun espoir de pouvoir survivre, parce que à cette époque aussi bien la capitulation que les camps pour les prisonniers de guerre étaient pour nous inconcevables.


                  4. W.W.: 4. Je suis intéressé par l’âge des insurgés.
Est-ce que, selon vos observations, les rangs des insurgés (sur la première ligne de combats) comptaient un nombre significatif de personnes dont l’âge dépassait 30- 40 ans ou bien c’étaient surtout les jeunes qui se battaient pendant l’insurrection?


         S.L.:La plupart des combattants étaient très jeunes. Chez nous, au sein de Kedyw, il y avait un groupe d’ouvriers originaires du quartier Wola qui, à mon avis, avaient à cette époque plus de trente ans (vous pouvez poser cette question à Danusia).[Mancewicz]


                  5. W.W.: 5. Les nombreux témoignages de l’insurrection font croire que l’esprit de corps des troupes formées par les insurgés était basé principalement sur les liens d’amitié, souvent de longue date.
Avez-vous observé une forte affluence des volontaires dans les rangs des insurgés?
Avez-vous observé une forte affluence des volontaires dans les rangs des insurgés?


         S.L.: Il y en avait peu, quelques-uns, garçons, et- si mes souvenirs sont exacts- deux jeunes filles: Irys et Wanda - Irena Wnęk et Basia Niklewska (cette dernière a été tuée pendant l’Insurrection).


                  6. W.W.: 6. Dans votre livre vous considérez l’Insurrection comme „la pire période de votre vie”. En même temps, votre livre se termine par la réflexion suivante: „les moments de lutte contre l’occupation- où je me suis senti libre, parce que je me battais- resteront pour toujours un souvenir ineffaçable et ô combien précieux.”
Que-est-ce que représente pour vous l’Insurrection: événement tragique et horrible, ou bien une expérience magnifique et sublime?
Quel est le sentiment qui vous domine lorsque vous pensez à l’Insurrection?


         S.L.: Je garde des souvenirs positifs des actions de diversion du Kedyw, avant l’Insurrection. Quant aux souvenirs datant de l’époque de l’Insurrection, les seuls moments agréables pour moi c’étaient la conquête des entrepôts à Stawki et la marche jusqu’au quartier Wola, à proximité de la tannerie des Pfeiffer- respectivement le premier et le deuxième jour de l’Insurrection. Pour le reste, ce n’était qu’une succession d’hôpitaux, d’opérations sans anesthésie, de mort de mes amis. Rien de magnifique, ni de sublime- du moins en ce qui me concerne. C’était plûtôt le sentiment du tragique de la situation.


                  7. W.W.: 7. Je suppose que la guerre a influencé votre vie.
Est-ce que votre pensée revient souvent à l’époque de l’Insurrection et de l’occupation, ou bien est-ce une époque si lointaine que vous n’y pensez que rarement?


         S.L.: Cette période de la vie est bien vivante en moi et ineffaçable. Naturellement, elle ne résonne pas en moi au quotidien, mais reste toujours imprimée dans ma mémoire et –bien évidemment- dans ma peau.


                  8. W.W.: 8. Vous organisez souvent des témoignages pour la jeunesse française pour lui parler du temps de la seconde guerre mondiale.
Dans vos récits et souvenirs, quels sont les éléments qui résonnent le plus fortement dans l’esprit de ces jeunes Français?
Est-ce qu’ils sont conscients de la contribution des Polonais à la lutte contre le nazisme, ou bien, au contraire, vous êtes amené à leur expliquer les vérités fondamentales liées à la guerre et à l’occupation en Pologne?
Est-ce qu’ils confondent l’Insurrection de Varsovie avec l’Insurrection du Ghetto de Varsovie en 1943?
Est-ce qu’ils sont surpris d’apprendre l’existence d’un tel évènement historique qu’est l’Insurrection de Varsovie?



         S.L.: L’Insurrection du Ghetto est souvent connue, par contre la nôtre ne l’est pratiquement jamais, hormis les personnes qui sont spécialement intéressées par l’histoire ou par la Pologne. Parmi les échos consécutifs à la publication de mon livre, il y en avait beaucoup de cette nature: „il y avait donc deux insurrections à Varsovie?”


                  9. W.W.: 9. Comme votre ami „Kolumb” Krzysztof Sobieszczański, vous avez servi de modèle au personnage de Skiernik présenté dans le livre de Roman Bratny „Kolumbowie” (Génération Colomb, date de naissance 1920).
Est-ce que votre lien avec ce personnage s’exprime par l’usage que fait l’auteur du livre de vos aventures ou bien fait-il référence aussi, dans la description de ce personnage, aux traits de votre caractère?


         S.L.: Le roman de Bratny n’exploite que mes aventures. Mon opinion est que les caractères de tous les protagonistes du livre sont peu profonds. En effet, ce livre s’apparente surtout à un „reportage”.


                  10. W.W.: 10. Avant l’éclatement de l’Insurrection, vous ressentiez une grande haine envers les Allemands (surtout ceux qui appartenaient aux SS et à la Gestapo), ce qui vous motivait à vous engager activement dans la conspiration.
Est-ce que, pendant l’Insurrection, cette haine des Allemands s’est encore renforcée?


         S.L.: Elle n’était pas devenue encore plus forte parce qu’elle était à son comble déjà avant l’Insurrection.


                  11. W.W.: 11. Je me réfère à la fin de votre livre, dans laquelle vous présentez votre „testament” (ne pas avoir peur; agir toujours de façon à être en accord avec ses convictions; ne pas subir passivement quoi que ce soit; ne pas faire aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent).
Est-ce que ces réflexions sont basées principalement sur votre expérience acquise au temps de l’Insurrection? Est-ce que votre vie après l’Insurrection, en France (aux postes de responsabilité dans l’industrie) n’avait plus d’ impact décisif sur votre personnalité et votre attitude envers la vie? Bref : est-ce que ce que vous avez appris d’essentiel dans la vie tire ses origines dans l’Insurrection de Varsovie?


         S.L.: Ce n’était pas forcément l’Insurrection à elle seule, mais ce qui l’avait précédé qui m’a marqué pour le reste de la vie: Kedyw, actions communes, solidarité absolue, amitié, délégation du pouvoir constituent pour moi l’essentiel de mon attitude envers la vie. L’Insurrection ne constituait probablement aucun enrichissement, elle a plutôt suscité un certain „scepticisme” à l’encontre de nos hauts commandants, à la suite des événements comme l’attaque contre la Gare des Chemins de fer, l’idée d’ouvrir un „couloir” à travers les lignes ennemies reliant la Vieille Ville et le Centre Ville et surtout ce qui s’est produit au début même de l’Insurrection – attaques contre les bunkers lancées par des hommes sans armes. Tout ceci suscitait une réflexion et n’était pas sans conséquence sur mon attitude envers la „hiérarchie” pendant le reste de ma vie.


                  12. W.W.: 12. Pour la plupart des jeunes vivant à l’époque actuelle, l’Insurrection est un objet historique incompréhensible et „fossile”. Chez d’autres personnes intéressées par ce sujet, les exploits extraordinaires des Insurgés suscitent autant d’admiration que de sentiment d’étrangeté– tant il est difficile de comprendre aujourd’hui cet héroïsme et altruisme. Lorsqu’on lit ces récits extraordinaires, on est enclin à se sous-estimer et l’on se dit que nous mêmes ne serions pas capables de faire face à ce genre de défis. D’autre part, dans de nombreuses mémoires, y compris les vôtres, l’héroïsme et le sacrifice de soi étaient un réflexe tout à fait naturel.
Peut-on prétendre que les conditions et le contexte spécifiques à cette époque généraient spontanément de telles réactions ou bien votre génération était exceptionnelle, entre autres, grâce au modèle d’éducation patriotique dont elle s’inspirait?


         S.L.: Je n’apprécie pas beaucoup l’expression „héroïque” etc. A l’époque que nous vivions, il n’y avait d’autre issue. Je pense que notre éducation – celle de la première génération dans une Pologne libérée, la tradition des luttes pour l’indépendance de nos ancêtres et de toute une génération des Polonais, avaient leur emprise sur nous, mais „Solidarność” a démontré que les hommes sont capables – heureusement- de se révolter pacifiquement (presque) dans les générations suivantes. Je ne pense pas que nous étions „extraordinaires”. La tradition de notre peuple nous a légué l’impératif de lutte et de révolte- c’est ce que nous savons faire. Vivre dans la démocratie, être pour et non contre, voter, voilà les éléments qui nous posent problème aujourd’hui en Pologne (je m’en rends compte au quotidien quand je regarde la télévision polonaise , accessible par le satellite, et cela me rend triste).


                  13. W.W.: 13. Parmi les anciens Insurgés prévaut l’opinion que s’ils étaient confrontés encore une fois au même dilemme que celui en août 1944, ils opteraient pour le même choix: celui de se battre, tout en ayant la conscience que la lutte allait se terminer par un désastre.
JQuelle est votre opinion à ce sujet? Pensez-vous que ces personnes ne considèrent pas l’Insurrection comme une défaite?


         S.L.: L’Insurrection a été déclenchée sur un ordre. Nous étions des militaires pour lesquels un ordre doit être toujours respecté (quels que soient les sentiments à l’encontre de celui qui est l’auteur de cet ordre). Bien évidemment, mes propos ne sont pas valides à 100% - c’était toujours le cas des Allemands – moi même, je ne tirerais jamais, par exemple, sur un enfant , même s’il y avait un ordre.


                  14. W.W.: 14. Par rapport à l’Insurrection, il n’est pas rare de rencontrer les opinions selon lesquelles elle était, d’un point de vue militaire, un acte héroïque, mais condamné à l’échec en raison d’une énorme disproportion des forces. A leur tour, les adversaires de ces opinions soutiennent la thèse que c’est justement d’un point de vue militaire que l’Insurrection était un succès (malgré la disproportion des forces, une grande partie de la ville s’est retrouvée sous le contrôle des Insurgés et ce pendant une période de deux mois), alors que son échec est dû au contexte politique et non militaire (la mauvaise foi des alliés et le comportement du semi-ennemi qu’était Staline).
Quelle est votre opinion à ce sujet? Est-ce que l’Insurrection constitue un succès militaire énorme, voire inimaginable, mais sabordé par les calculs erronés des chefs polonais ou (au choix) par la trahison des alliés et de l’URSS?


         S.L.: L’Insurrection a duré 63 jours. Nos chefs avaient envisagé 6 jours. En réalité, une telle durée était impossible à prévoir. Je pense que les Allemands n’ont pas employé contre nous le maximum de leurs forces, ce qui n’ôte rien à la valeur de ces 63 jours bien qu’ils soient peut-être trop nombreux. En effet, les Allemands auraient proposé aux Insurgés de capituler déjà en août. Avec les pertes s’élévant à 200 000 de civils morts et à 20 000 jeunes combattants tombés dans la bataille, je réfuserais de caractériser l’Insurrection comme un „succès militaire”.


                  15. W.W.: 15. Chez de nombreux anciens soldats, par exemple américains, combattant au Vietnam et en Iraq, l’on a pu observer une inadaptation sociale, des troubles psychiques et autres séquelles. Il paraît que ce syndrôme n’a pas touché les Insurgés de Varsovie. Tout au contraire, c’était avec beaucoup d’énergie qu’ils se sont engagés dans la vie normale après la guerre à moins qu’ils n’aient été- bien évidemment- soumis aux répressions staliniennes. Ceux qui ont émigré- comme vous- ont manifesté la même attitude. Dans la plupart des cas, ces hommes et femmes se sont montré extrêmement créatifs et sociables.
Quelles sont, d’après vous, les raisons de ce phénomène? Êtes-vous d’accord qu’il s’explique par le sentiment de l’accomplissement du devoir et de la conscience de la lutte pour la bonne cause, même si cette lutte se termine par une défaite militaire (ce qui se présente différemment chez les soldats américains qui étaient en droit de se considérer comme abusés par leurs politiques et impliqués dans une guerre injuste, marginalisés par leur propre société) ? Ou bien, vous ne partagez pas l’idée que la plupart des anciens Insurgés avaient bon moral malgré la chute de l’Insurrection?


         S.L.: C’est ce que je souligne à chaque fois: nous sommes des gens „normaux”, sans l’aide des psychologues alors qu’un Américain est soigné psychiquement après un mois passé en Iraq. Je pense que la situation dans laquelle on est amené à se défendre, tout en restant convaincu de la légitimié de sa propre lutte, est bien différente à celle où l’on se trouve dans le rôle d’un occupant – c’est alors qu’on commence à avoir des problèmes...
„Bon moral”- je n’en sais rien, c’était plûtot la satisfaction d’avoir survécu.



                  16. W.W.: 16. Les polémiques autour du sens de l’Insurrection sont toujours animées et se maintiendront peut-être pendant longtemps encore.
Est-ce que l’Insurrection doit être perçue comme un redoutable avertissement ou bien comme une source d’inspiration et un modèle à suivre?


         S.L.: Je ne pense pas que l’Insurrection soit un modèle à suivre. Bien évidemment, la lutte clandestine contre les Allemands était pour moi une nécessité, comme c’était le cas de mes nombreux compatriotes, parce qu’il est très désagréable d’être réduit au statut d’un „esclave”. Hélas, ceux qui sont passés par les camps de concentration ne pouvaient pas agir comme nous. Je me considère comme un chanceux, non seulement à cause des aventures vécues pendant ces cinq années d’occupation, mais surtout parce que je n’ai jamais été humilié , ce qui n’était pas facile à éviter au cours de ces cinq années. Il s’agit là peut-être d’un facteur qui explique l’absence des „blessures” psychologiques dans mon cas.





Photographie de Stanislas Likiernik prise en 1946


                  W.W.: Pour terminer, je tiens à vous remercier chaleureusement de m’avoir accordé cette interview. La possibilité d’être en relation vivante avec l’un des témoins de ces journées tragiques et légendaires constitue pour moi un grand honneur et une émotion comparable à celle qu’on pourrait avoir en discutant avec le protagoniste d’une grande bataille historique telle que Vienne, Tanneberg (Grunwald) ou Austerlitz.


         S.L.: Je ne suis pas convaincu qu’on puisse comparer nos exploits à ces batailles-là. A mon avis, une telle comparaison n’est pas justifiée. Pour trouver des similitudes de ce genre, il faudrait penser peut-être à l’Insurrection de Janvier 1863. Bien qu’elle ait été, elle aussi, une tentative désespérée, elle a empêché, à mon avis, la russification pendant une cinquentaine d’années, jusqu’en 1905. On peut toujours discuter des aspects positifs de notre insurrection. Quant à moi, je reste sur mon opinion, que vous connaissez déjà et me tiens à l’écart de ce débat, parce que je n’y trouve aucun intérêt.
Observation supplémentaire: les Tchèques avaient une attitude différente de la nôtre, que ce soit à l’encontre de l’occupation, des Allemands et des combats sur le front occidental ou sous l’occupation. Une telle attitude est pour nous, Polonais, inconcevable, mais qui a raison?


Marly Le Roi, 10 paĽdziernika 2006



Stanislas Likiernik-photographie contemporaine


Interview réalisée par Wojciech Włodarczyk

Traduction: Wojciech Włodarczyk





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